Abonnement au blog
Recevez les actualités de mon blog gratuitement :

Je comprends qu’en m’abonnant, je choisis explicitement de recevoir la newsletter du blog "cafenetphilosophie" et que je peux facilement et à tout moment me désinscrire.


Articles les plus lus

· 10 LA NOTION D'INSTINCT CHEZ L'HOMME . COURS.
· 9 LE STATUT DE LA CONSCIENCE SELON NIETZSCHE. COURS.
· 13 CROYANCES, RITES ET FÊTES DU JUDAÏSME
· NATURE HUMAINE ET CONDITION HUMAINE.
· 1 LES FONDEMENTS D'UNE DEMOCRATIE

· 10 LA FONCTION DU MYTHE
· 531 L'ART POUR L'ART OU ART ENGAGE?
· 5 LE BOUDDHISME: COMPARAISON AVEC L'HINDOUISME
· 12 MOÏSE, FONDATEUR DU JUDAÏSME
· 1 COURS DE PHILOSOPHIE: LA PHILOSOPHIE SPONTANEE.
· 289. INCONSCIENT PSYCHIQUE ET CONNAISSANCE DE SOI.
· 286. LES MANIFESTATIONS DE L'INCONSCIENT PSYCHIQUE.
· 411 LES SOURCES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE.
· 2 COURS DE PHILOSOPHIE: LE ROLE DE LA RAISON.
· 8 LE STATUT DE LA CONSCIENCE SELON KANT ET PASCAL. COURS.

Voir plus 

Rubriques

>> Toutes les rubriques <<
· 29 Cours: La nature de l'homme (15)
· 8 Les grandes religions (24)
· 36 Cours: L'Art. (14)
· 31Cours: L'inconscient. (6)
· 3 L'esprit démocratique (23)
· 2 Cours: Pourquoi la philosophie? (5)
· 7 Le phénomène religieux (16)
· 30 Cours: La morale. (11)
· 45 Extraits de textes philosophiques (15)
· 35 Cours: La politique. (22)

Rechercher
Thèmes

amour animal animaux art belle bonne cadre center centerblog chez coup création

Statistiques

Date de création : 26.02.2011
Dernière mise à jour : 10.09.2025
5091 articles


78 L'énigme de la conscience

4759 LA CONSCIENCE AU SEIN DE L'UNIVERS

Publié le 19/04/2024 à 05:55 par cafenetphilosophie Tags : sur plat vie monde animaux soi animal fleur homme mort création divers nature cadre pouvoir demain

Rubrique "L'énigme de la conscience". Suite du billet N°4752.

 

Extrait de Philosophie pour tous, Tome VII, A.MENDIRI, Amazon

 

Prochain billet demain samedi 20 avril

 

 

 

La conscience est une notion qui apparaît évidente, vécue immédiatement par tous les hommes et qui pourtant est éminemment complexe au regard des problèmes philosophiques qu’elle soulève. En premier lieu, il faut s’attarder sur sa définition commune ou classique. Étymologiquement la conscience, « cumsciencia » en latin, signifie « accompagné de savoir ». Quel savoir ? Grace à cette faculté nous savons que nous existons et que le monde existe. Le terme exister se distingue du terme de vivre. Exister suppose que l’être concerné ne coïncide pas avec les contenus de sa vie intérieure, notamment avec le moment présent et qu’il se projette en avant de lui-même. L’animal se contenterait de vivre, de sentir qu’il vit alors que seul l’homme, être conscient, existerait au sens rigoureux du terme, c’est-à-dire saurait qu’il vit. L’animal en sentant qu’il vit possède un savoir. L’homme qui existe ne se contente pas de ce savoir immédiat car être conscient revient à savoir qu’on sait.

Parce qu’il sait qu’il existe, l’homme ou l’être conscient peut dire «  Je ». C’est ainsi que Kant, dans « l’Anthropologie du point de vue pragmatique » propose une analyse fort pertinente de cette situation particulière de l’homme conscient : «  Posséder le « Je » dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité de choses comme le sont les animaux sans raison...et ceci, même lorsqu’on ne peut pas encore dire Je, car il l’a cependant dans sa pensée ».

Ces considérations amènent l’auteur à comparer l’enfant et l’adulte : «  Il faut remarquer que l’enfant, qui sait déjà parler assez correctement, ne commence qu’assez tard...à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger ; marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il pense ».

Les observations de Kant nous amènent à distinguer conscience immédiate et conscience réfléchie. Cette dernière renvoie à la capacité de réflexion et à vrai dire à la conscience proprement dite. Ce recul par rapport à tous ses contenus rend possible ce qu’on appelle la pensée. Cette faculté permet en effet de distinguer le monde perçu d’un monde possible et de séparer ce qui est indissociable dans la réalité, c’est-à-dire d’abstraire. Le sujet conscient perçoit par exemple une fleur mais il en distingue la couleur, l’odeur, la consistance etc. En revanche la conscience immédiate est celle qui se manifeste sans être accompagnée d’une réflexion. C’est le cas, par exemple, lorsque nous pédalons sans penser à quoi que ce soit de précis. De ce fait,la conscience immédiate relève du « senti » et non du « pensé ».

Toujours est-il que la conscience proprement dite, c’est-à-dire la conscience réfléchie conduit J.P. Sartre à proclamer que « toute conscience est comédie » : « Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé et perpétuellement rompu, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un peu trop d’empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d’imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d’on ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable, qu’il rétablit perpétuellement d’un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s’applique à enchaîner ses mouvements comme s’ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes, il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s’amuse. Mais à quoi joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps pour s’en rendre compte.Il joue àêtregarçon de café ».

Ainsi la conscience me conduit en toutes circonstances à me voir agir, à jouer un rôle, à être à l’initiative de l’image que je veux renvoyer aux autres. Mais dans le même temps cette capacité de se représenter en permanence ce que j’ai choisi d’être fait la grandeur de l’homme. C’est ce que Pascal souligne dans « Les Pensées » : La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. C’est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable. Penser fait la grandeur de l’homme. Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête (car ce n’est que l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute. L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.Toute notre dignité consiste donc en la pensée ».

La conscience définirait donc l’homme. Pourtant, le débat reste ouvert entre ceux qui soutiennent que la conscience constitue l’apanage de l’homme et ceux qui sont persuadés que, à des degrés certes divers, la conscience est indissociable de l’être vivant animal, de la bactérie jusqu’à l’homme. Cette conception suppose donc que le réel soit continu, qu’il n’y ait pas de saut dans la nature, pas d’émergence brutale de propriétés nouvelles. L’état conscient ne renverrait pas à un état qualitatif original mais serait présent avec des gradations différentes tout au long de la chaîne de l’évolution.

Pourtant, il semble bien qu’il y ait des sauts qualitatifs au cours de l’évolution du cosmos. C’est à partir d’un certain degré de complexité de l’organisation matérielle que surgissent la vie et ses propriétés nouvelles comme l’unité indissociable des éléments constitutifs de l’être vivant et la reproduction sans parler de la sensation pour les êtres vivants du règne animal. Entendons-nous bien : nous ne disons pas comme les vitalistes du XIX° siècle que la vie est de nature différente de la matière mais simplement que la complexité croissante de l’organisation matérielle fait émerger des propriétés jusque là inconnues.

Or il semble qu’il en aille de même à propos de la complexité croissante des êtres vivants et en particulier de leur système nerveux central. A un certain degré de complexité émergerait ce qu’on appelle la conscience. Songeons que le chimpanzé, l’animal sans doute le plus complexe après l’homme ne possède que 9 milliards de neurones contre 100 milliards pour l’être humain. Si l’on songe que chaque neurone peut établir des centaines de mille de relations avec les autres neurones, on mesure le fossé abyssal entre l’homme et les autres espèces animales.

C’est pour cela qu’aucun animal n’accède à un véritable langage, car celui-ci suppose une création conventionnelle et la possibilité de combiner un nombre infini de messages à partir d’un nombre fini d’éléments. L’animal ne pense pas et donc n’est pas en capacité de créer un tel outil de communication.

Certes cette thèse suppose que le réel procède par sauts qualitatifs et soit discontinu. Mais c’est très précisément ce qui se passe dès l’organisation des niveaux les plus élémentaires de la matière. La physique quantique nous a appris que les échanges d’énergie s’effectuaient par paquets, par quanta, et que les trajectoires des électrons autour du noyau au sein des atomes observaient également des sauts de ce type.

Ces analyses pourraient laisser penser que nous défendons une conception finaliste de l’évolution, à l’image de celle du cosmologiste Trinh Xuan Thuan qui défend la thèse selon laquelle l’évolution de l’Univers obéirait à un principe de complexité croissante et que les paramètres physiques initiaux qui président à cette évolution sont tels afin qu’apparaissent des êtres conscients.

Nous sommes persuadés que l’ évolution, celle des êtres vivants en particulier, est structurée de manière aléatoire et traversée par une infinité de hasards contingents. La conscience, dans ce cadre là n’émergerait pas à partir de la seule organisation anatomique que nous connaissions, à savoir le cerveau de l’être humain. Une infinité d’organisations différentes sont sans doute susceptibles de faire émerger la conscience. Celle-ci ne pourrait néanmoins surgir qu’à partir d’un certain degré de complexité des êtres vivants.

Se pose alors la question de la nature et des conditions d’émergence de la conscience. Certes, elle appartiendrait à la même réalité que la vie ou la matière inerte. Seules ses propriétés originales la distinguerait des autres formes d’organisation du réel. Mais doit-on en conclure pour autant, comme le fait l’immense majorité des hommes de science et du corps médical, que la conscience est produite par le cerveau comme la bile par les cellules hépatiques ?

C’est le point de vue que soutient J.P. Changeux : « Les possibilités combinatoires liées au nombre et à la diversité des connexions du cerveau de l’homme paraissent suffisantes pour rendre compte des capacités humaines. Le clivage entre activités mentales et neuronales (que soutiennent les « émergentistes ») ne se justifie pas ; Désormais, à quoi bon parler d’« esprit » ? Il n’y a que deux « aspects » d’un seul et même évènement que l’on pourra décrire avec des termes empruntés soit au langage de la psychologie (ou de l’introspection), soit à celui des neurobiologistes » (L’homme neuronal 1983)

A l’opposé, Pom Van Lommel, tire de l’étude des EMI (expériences de mort imminente) les conclusions suivantes : « Le fait que les gens rapportent des expériences lucides dans leur conscience, quand l’activité cérébrale a cessé est difficile à concilier avec l’opinion médicale actuelle ( selon laquelle la conscience est localisée exclusivement dans le cerveau). Comment pourrait-il y avoir une conscience claire en-dehors du corps pendant une période de mort clinique, avec un électroencéphalogramme plat ? Et fait troublant, même les personnes aveugles ont décrit les mêmes perceptions lors de leur sortie du corps au moment de leur EMI. L’étude scientifique des EMI nous pousse dans nos retranchements et remet en cause nos connaissances médicales et neurophysiologiques » (Mort ou pas? 2012)

Cela conduit certains philosophes de la conscience comme Chalmers (XX° siècle) à considérer que la conscience constitue la substance fondamentale de l’Univers et que le cerveau ne produit pas la conscience mais ne fait que la capter en la canalisant en fonction de nos besoins d’adaptation à un milieu donné. En fait ce panpsychisme revient à proclamer que toute réalité est constituée d’unités d’information, et que la constitution de structures de plus en plus complexes fait émerger des degrés d’information ou de conscience de plus en plus élaborées. A certains égards, cette conception ne rend plus incompatibles les thèses gradualistes de la présence de la conscience et les thèses émergentistes qui font apparaître par sauts des propriétés nouvelles au sein de l’Univers. Bref, la nature de la conscience demeure encore mystérieuse et le débat à ce propos reste largement ouvert.

 

 

4293 PANORAMA SUR LA CONSCIENCE

Publié le 28/12/2022 à 05:58 par cafenetphilosophie Tags : sur plat vie monde coup soi mode fond coup sur mort nature pouvoir demain

Rubrique "L'énigme de la conscience". Suite du billet N°4286.

 

Extrait de Philosophie pour tous, Tome VII, A.MENDIRI

 

Prochain billet demain jeudi 29 décembre.

 

 

A l’issue de cette étude sur la conscience, il est sans doute opportun de faire le point sur cette notion éminemment complexe et qui soulève de multiples problèmes philosophiques, voire ontologiques. La conscience a été pendant longtemps considérée comme l’efflorescence tardive, voire accidentelle de la longue chaîne de l’évolution du vivant sur notre planète. Sa présence caractériserait les hominidés en particulier, c’est-à-dire tous les ancêtres de l’homme actuel. Son importance se voyait tributaire du volume du cerveau, celui-ci étant progressivement de plus en plus marqué au fil des espèces buissonnantes qui ont émergé et qui se sont succédé jusqu’à nous. Les recherches paléontologiques ne déterminent toujours pas une frontière nette entre les espèces qui ont inventé l’outil comme l’homo habilis, ou bien avec les premiers hominidés qui ont procédé à des inhumations comme l’homme de Néandertal, témoignant à coup sur d’une prise de conscience claire de la vie et de la mort. Le cerveau apparaissait classiquement comme l’organe pouvant produire la conscience au même titre que les cellules hépatiques produisent la bile.

Ajoutons à cela que les phénomènes conscients seraient enserrés dans un réseau de déterminismes multiples, biologiques, sociaux, psychologiques qui ruinerait l’hypothèse philosophique et la conviction commune selon laquelle nous disposerions d’un libre-arbitre, avalisant par là-même l’affirmation célèbre de Spinoza proclamant que l’homme « n’est pas un empire de liberté au sein d’un empire de nécessité ». De même, le sujet conscient, par la médiation de l’introspection ou de la réflexion sur soi ne serait pas à même de se connaître, le sujet conscient, selon l’expression de Sigmund Freud, « régnant mais ne gouvernant pas ».

Telle est, à grands traits, la conception matérialiste qui domine toujours dans les cercles intellectuels. Pourtant vers la fin du XX° siècle, des faits nouveaux et peut-être révolutionnaires se sont fait jour qui très certainement vont amener à bouleverser nos conceptions concernant la conscience, son origine, sa nature, le rôle qu’elle joue au sein même de l’Univers.

Rappelons quels sont les nouveaux faits qui remettent en cause les conceptions traditionnelles en question. En 1975, le philosophe et médecin américain Raymond Moody publie un ouvrage « La vie après la vie » où il rapporte ce qu’il a appelé les « expériences de mort imminente » . Des patients victimes d’un accident grave et tombant dans le coma prétendent sortir de leur corps et voir en hauteur l’ensemble des interventions médicales, captant les différents propos et capables de les rapporter à l’issue de l’intervention de manière fidèle et vérifiable.

Or, ce qui demeure remarquable au cours de ces circonstances étonnantes c’est que le patients en question étaient dans le coma, que leur électro-encéphalogramme était plat et donc, normalement que le fonctionnement cérébral se voyait totalement interrompu. Comment alors les patients pouvaient-ils, dans ces conditions extrêmes, continuer à percevoir très clairement leur environnement et mémoriser l’ensemble des évènements vécus pendant ce laps de temps de manière très lucide ?

Cela est d’autant plus troublant que ce genre d’expérience est parfois le fait d’aveugles de naissance qui acquièrent une forme de perception dont les détails sont vérifiables sans qu’il soit possible à ce jour de déterminer la nature exacte de ce type de perception étonnamment singulier.

Bien entendu, ces faits remettent en cause les conceptions matérialistes classiques et dominantes selon lesquelles c’est le fonctionnement du cerveau qui produit la conscience ou lui permet de se manifester. L’intérêt de ces EMI (expériences de mort imminente) ou NDE en anglais réside dans le fait que tous les évènements rapportés par les patients concernés sont objectivement vérifiables.

Empressons-nous de préciser qu’il n’y a à ce jour aucune explication satisfaisante de ce genre de phénomènes. La seule certitude c’est que ces derniers vont nous amener à réviser nos conceptions sur le rôle du cerveau, sur son mode de fonctionnement, sur ses capacités exactes. Pour l’heure les explications avancées sont d’ordre essentiellement philosophiques voire idéologiques. C’est ainsi que Piet Van Lommel en tire la conclusion, peut-être prématurée quoique présentement vraisemblable que le cerveau ne produit pas la conscience mais se contente de la capter. En d’autres termes seul un organe suffisamment complexe comme le cerveau humain est à même de capter la conscience au même titre que la technologie de notre téléviseur est à même de capter sons et images.

Cette hypothèse, à supposer qu’il faille la retenir, soulève la question ontologique de la nature de ce que nous appelons la conscience. Mais avant d’aborder de manière plus circonstanciée cette question, les EMI nous interpellent sur le sens de la mort. En effet, en-dehors des sorties du corps se présenterait assez fréquemment une deuxième phase, dite transcendante, où les sujets ont le sentiment d’entrer en contact avec des personnes décédées, connues ou inconnues et avec une entité lumineuse mystérieuse, rapportée comme incarnant une forme d’amour absolu.

Nous imaginons aisément que de telles confidences qui, de l’aveu même des « expérienceurs », échappent aux capacités du langage ordinaire en vue de les rapporter de manière fidèle, prennent à rebrousse-poils la plupart des médecins et des scientifiques. Certes, de telles aventures extraterrestres en quelque sorte recoupent des témoignages multiples d’auteurs célèbres, Platon par exemple avec le mythe d’Er dans La République, mais il faut bien admettre que la fiabilité de tels propos est naturellement sujette à caution. Ainsi, la conscience ainsi considérée nous amène à poser la question de l’après-mort, question réservée jusque là aux sphères religieuses et à ce titre étrangères à la démarche scientifique, ces questions relevant de la foi et non d’un savoir. D’ailleurs, notons l’extrême prudence des autorités religieuses par rapport à ces phénomènes, pour ne pas dire plus.

Mais revenons au problème de la nature de la conscience, hypothétiquement captée par notre cerveau. Si c’est le cas, la conscience apparaîtrait non comme un produit tardif de l’évolution du vivant mais comme une réalité autonome, distincte de ce que nous désignons habituellement par le terme de matière. Serait-ce nécessairement un retour en force à des conceptions dualistes pures et dures ? Non point. D’ailleurs se représenter la conscience comme une réalité éventuellement immatérielle échappe à la compréhension commune. En vérité, certains philosophes contemporains de la conscience comme l’australien Chalmers en tirent la conclusion que la conscience est une substance fondamentale de l’Univers et peut-être même la substance fondamentale de toute réalité. Il s’agit en l’occurrence d’une philosophie dite panpsychiste.

Cette nouvelle ontologie, cette branche de la réflexion philosophique qui s’interroge sur la nature de ce qui est, se situe comme on le voit aux antipodes du matérialisme. Ce n’est plus la matière qui donne naissance à l’esprit ou à la conscience, c’est la conscience ainsi entendue qui engendre tous les phénomènes dits matériels. A vrai dire toutes les réalités particulières et finies de l’Univers sont structurées mathématiquement et constituent en conséquence des unités d’information qui, à un certain degré de complexité peuvent capter cette substance fondamentale et universelle que serait la conscience.

A ce stade de l’analyse, nous imaginons aisément la perplexité des lecteurs. Mais quelle que soit le degré de vérité de ces hypothèses métaphysiques, elles ont le mérite de nous faire prendre conscience des révolutions de pensée en cours. De ce fait, si nous leur accordons un crédit ponctuel afin de pouvoir en tirer toutes les conséquences ontologiques possibles, il va de soi que la moindre réalité, matérielle ou vivante, animale ou végétale, sont constituées d’unités d’information et donc pour certaines d’entre elles, lorsqu’elles acquièrent la capacité de sensation, de formes rudimentaires de conscience.

Bien entendu, la conscience qui habite les êtres humains est une forme supérieure de conscience. Être conscient de manière humaine, ce n’est pas seulement savoir que l’on existe et que le monde existe, c’est savoir qu’on le sait. C’est cette propriété particulière, propre à l’homme qui lui permet d’accéder à la pensée, à la distinction entre un monde perçu et un monde possible, source des créations humaines et d’une manière plus générale de ce que nous désignons par le terme de culture.

La conscience ainsi définie est sans doute source de liberté. Épicure, le philosophe matérialiste du III° siècle av J.C., prouvait la liberté du sujet en levant un bras. Je décide de lever le bras. Je le lève. La liberté est possible ontologiquement parce que la réalité matérielle est telle avec le fameux « clinamen »ou inclinaison régie par le hasard des atomes, que cette contingence fondamentale et fondatrice se retrouve au niveau de la vie humaine.

De nos jours, la physique de l’infiniment petit ou la physique dite des quanta semble valider des conceptions similaires dans leur esprit. Il y a au fond de la réalité une forme de contingence ou d’absence de nécessité qui caractérise toutes les propriétés des particules élémentaires.

Cependant, cela signifie-t-il pour autant que la conscience permette de connaître clairement notre vie intérieure et qu’il n’y ait pas un inconscient au sens strict du terme, c’est- à-dire des phénomènes psychiques fermés à la conscience et qui continuent à inspirer nos pensées et notre action ? Là encore, nous ne trancherons pas pour notre part. Car, quoi qu’il en soit, nous reprenons volontiers à notre compte la conviction sartrienne selon laquelle nous sommes condamnés à la liberté. Quelles que soient les influences qui nous habitent, les caractéristiques intérieures ou extérieures dont nous héritons, la conscience possède toujours le pouvoir d’évaluer rationnellement ou émotionnellement la situation vécue, de choisir et de dire « non ». Tel serait le destin glorieux de la conscience.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4286 CONSCIENCE ET LIBERTE

Publié le 21/12/2022 à 06:05 par cafenetphilosophie Tags : image sur vie place monde soi chez travail nature enfant pouvoir demain

Rubrique "L'énigme de la conscience". Suite du billet N°4279.

 

Extrait de Philosophie pour tous, Tome VII, A.MENDIRI (en cours de rédaction)

 

Prochain billet demain jeudi 22 décembre.

 

 

La conscience constitue-t-elle la totalité de la vie psychique chez l’homme ? Depuis le milieu du XIX° siècle, des courants philosophiques comme celui de Nietzsche ou la psychologie scientifique avancent l’hypothèse d’un psychisme inconscient largement dominant, la conscience se réduisant à un simple épiphénomène. Pourtant le XX° siècle a connu également de multiples remises en cause de cette hypothèse. Certes, il ne s’agit pas pour autant de considérer que tout est clair au sein de notre vie intérieure mais de s’interroger sur le sens que peut avoir un psychisme qui serait par nature étranger à la conscience.

René Girard prétend ruiner les thèses de Freud en montrant que le désir est par essence mimétique et qu’en conséquence le désir demeure conscient et se porte sur le désir du désir d’autrui. Alain reprend la conception de Descartes selon laquelle tout ce qui n’est pas conscient relève du corps. L’idée d’un inconscient psychique constituerait une « idolâtrie » de celui-ci. J.P. Sartre pour sa part critique le processus de la censure, à l’origine de la constitution de l’inconscient chez Freud, au motif que celui-ci, pour avoir un sens et une efficacité, doit être conscient. Certes il y a au sein de notre vie intérieure des zones d’ombre, difficiles d’accès car cela suppose de ne plus fuir des problèmes difficiles à affronter, mais c’est être de mauvaise foi, se mentir à soi-même de considérer que ces zones d’ombre sont inaccessibles. Enfin, Popper soupçonne les théories de l’inconscient de jouer sur le caractère caché de son contenu et d’adapter les explications proposées afin que les principes théoriques ne soient jamais pris en défaut. Le critère de « falsification », qui consiste à prévoir les faits qui ruineraient la théorie n’est pas respecté et il en conclut que toutes ces théories ne peuvent être considérées comme scientifiques.

Le mérite néanmoins des thèses sur l’inconscient psychique est d’avoir reposé sur un plan qui se veut objectif la question de la nature de la conscience et de sa capacité à effectuer des choix face aux déterminismes qui l’affectent. Déjà au XVII° siècle, Spinoza critiquait avec vigueur l’idée de libre-arbitre  dans sa « Lettre à Schüller »: « Concevez...que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, sache et pense qu’elle fait tout l’effort possible pour continuer de se mouvoir. Cette pierre, assurément, puisqu’elle n’est consciente que de son effort, et qu’elle n’est pas indifférente, croira être libre et ne persévérer das son mouvement que par la seule raison qu’elle le désire ».

Spinoza fait alors un rapprochement avec le sentiment de liberté qui habite l’homme : « Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs actes et ignorants des causes qui les déterminent. C’est ainsi qu’un enfant croit désirer librement le lait, et un jeune garçon irrité vouloir se venger s’il est irrité mais fuir s’il est craintif. Un ivrogne croit dire par une décision libre ce qu’ensuite il aurait voulu taire. De même un dément, un bavard, et de nombreux cas de ce genre croient agir par une libre décision de leur esprit, et non pas par une impulsion. Et comme ce préjugé est inné en tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas facilement ».

Dans « Le crépuscule des idoles », Nietzsche fait du libre-arbitre une invention des théologiens afin que l‘idée de punition puisse conserver un sens : « Il ne nous reste plus aujourd’hui plus aucune espèce de compassion avec l’idée de « libre-arbitre » : nous savons trop bien ce que c’est- le tour de force théologique le plus mal famé qu’il y ait, pour rendre l’humanité « responsable » à la façon des théologiens, ce qui veut dire : pour rendre l’humanité dépendante des théologiens...Partout où l’on recherche des responsabilités, c’est généralement l’instinct de punir et de juger qui est à l’œuvre. On a dégagé le devenir de son innocence lorsque l’on ramène un état de fait quelconque à la volonté ; à des intentions, à des actes de responsabilité : la doctrine de la volonté a été principalement inventée afin de punir, c’est-à-dire avec l’intention de trouver coupable… Le christianisme est une métaphysique du bourreau ».

Freud dans « La psychologie de la vie quotidienne » , en s’appuyant sur l’existence d’un inconscient psychique rejoint Spinoza dans sa négation du libre-arbitre : « On sait que beaucoup de personnes invoquent à l’encontre d’un déterminisme psychique absolu, leur conviction intime de l’existence d’un libre-arbitre. Cette conviction refuse de s’incliner devant la croyance au déterminisme...Je crois cependant avoir remarqué qu’elle ne se manifeste pas dans les grandes et importantes décisions ; dans ces occasions, on éprouve plutôt le sentiment d’une contrainte psychique, et on en convient : « j’en suis là » ; je ne puis faire autrement ». Lorsqu’il s’agit, au contraire, de résolutions insignifiantes, on affirme volontiers qu’on aurait pu tout aussi bien se décider autrement, qu’on a agi librement, qu’on a accompli un acte de volonté non motivé ».

Freud tire de ce constat la conclusion suivante : « La distinction entre la motivation consciente et la motivation inconsciente une fois établie, notre conviction nous apprend seulement que la motivation consciente ne s’étend pas à toutes nos décisions motrices. Le chef ne se soucie pas des détails. Mais ce qui reste non motivé d’un côté, reçoit ses motifs d’une autre source, de l’inconscient, et il en résulte que le déterminisme psychique apparaît sans solution de continuité » .

Pourtant, les spécialistes des sciences humaines sont en fin de compte beaucoup moins certains de l’inexistence du libre-arbitre que ce qu’il apparaît dans les analyses qui précèdent.C’est ainsi que le sociologue français Bourdieu (XX° siècle) souligne que le déterminisme, loin de conduire à nier l’idée de liberté, permet au contraire d’en souligner le caractère incontournable. Tout être humain est en effet soumis depuis sa naissance à de multiples déterminismes de nature différente, déterminismes sociaux, éducatifs, psychologiques, etc. Or, il va de soi qu’au cours de sa vie et en particulier au cours de son éducation, un individu reçoit des influences diverses et même contradictoires. Il se voit donc acculé à faire des choix parmi ces influences contradictoires et par là même est appelé à construire les éléments de sa propre personnalité. C’est par le jeu des déterminismes que la liberté du sujet est amenée à prendre forme.

Il en va de même concernant Freud lui-même qui nuance considérablement sa négation du libre-arbitre dans « Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci » : « « …même en possession de la plus ample documentation historique et du maniement certain de tous les mécanismes psychiques, l’investigation psychanalytique…resterait impuissante à rendre compte de la nécessité qui commanda à un être de devenir ce qu’il fut et de ne devenir rien d’autre. Nous avons déjà dû admettre que, chez Léonard de Vinci, le hasard de sa naissance illégitime et l’excessive tendresse de sa mère exercèrent l’influence la plus décisive sur la formation de son caractère et sur sa destinée, le refoulement survenu après cette phase d’enfance ayant conditionné et la sublimation de la libido en soif de savoir et l’inactivité sexuelle de toute sa vie. Mais ce refoulement, après les premières satisfactions érotiques de l’enfance, aurait pu ne pas avoir lieu ; il n’aurait peut-être pas eu lieu chez un autre individu ou eût pu avoir bien moins d’amplitude. Il nous faut reconnaître ici une marge de liberté que la psychanalyse reste impuissante à réduire. De même, le résultat de cette poussée de refoulement ne peut être considéré comme le seul possible. Une autre personne n’aurait sans doute pas réussi à soustraire la plus grande partie de sa libido au refoulement, par la sublimation en soif de savoir. Soumise aux mêmes influences que Léonard, elle aurait subi soit un durable préjudice du travail de la pensée, soit une prédisposition indomptable à la névrose obsessionnelle.

J.P. Changeux lui-même admet une part irréductible de liberté en se fondant sur l’analyse des mécanismes cérébraux : « Spinoza a dit une phrase à laquelle j’adhère: «Les hommes se croient libres car ils ignorent les causes qui les déterminent.» Cela dit, il ne faut pas voir l’être humain comme un automate pré-câblé. Il l’est en grande partie, mais il existe une variabilité dans le câblage ainsi qu’une activité neuronale spontanée dont le résultat est que, souvent, plusieurs possibilités se présentent. Le cerveau en choisit une en anticipant les conséquences de chacune d’elles. Si vous voulez appeler cela libre arbitre, cela ne me gêne pas".

Toutes ces considérations conduisent à valider les conceptions de Hegel concernant la liberté de la volonté : «  On dit volontiers : ma volonté a été déterminée par ces mobiles, circonstances, excitations et impulsions. La formule implique d’emblée que je me sois ici comporté de façon passive. Mais, en vérité, mon comportement n’a pas été seulement passif ; il a été actif aussi, et de façon essentielle, car c’est ma volonté qui a assumé telles circonstances à titre de mobiles, qui les fait valoir comme mobiles. Il n’est ici aucune place pour la relation de causalité. Les circonstances ne jouent point le rôle de causes et ma volonté n’est pas l’effet de ces circonstances. La relation causale implique que ce qui est contenu dans la cause s’ensuive nécessairement. Mais en tant que réflexion, je puis dépasser toute détermination posée par les circonstances. Dans la mesure où l’homme allègue qu’il a été entraîné par des circonstances, des excitations, etc., il entend par là rejeter, pour ainsi dire, hors de lui-même sa propre conduite, mais ainsi il se réduit tout simplement à l’état d’être non libre ou naturel, alors que sa conduite, en vérité, est toujours sienne, non celle d’un autre ni l’effet de quelque chose qui existe hors de lui. Les circonstances ou mobiles n’ont jamais sur l’homme que le pouvoir qu’il leur accorde lui-même ».( Propédeutique philosophique)

C’est ce que reprend Sartre dans « Cahiers pour la morale » par sa célèbre formule selon laquelle « nous sommes condamnés à la liberté » : Me voilà tuberculeux par exemple. Ici apparaît la malédiction… Cette maladie, qui m’infecte, m’affaiblit, me change, limite brusquement mes possibilités et mes horizons. J’étais acteur ou sportif ; avec mes deux pneumos, je ne puis plus l’être. Ainsi négativement je suis déchargé de toute responsabilité touchant ces possibilités que le cours du monde vient de m’ôter. C’est ce que le langage populaire nomme être diminué. Et ce mot semble recouvrir une image correcte : j’étais un bouquet de possibilités, on ôte quelques fleurs, le bouquet reste dans le vase, diminué, réduit à quelques éléments.Mais en réalité il n’en est rien : cette image est mécanique... Il est vrai de dire qu’on m’ôte ces possibilités mais il est aussi vrai de dire que j’y renonce ou que je m’y cramponne ou que je ne veux pas voir qu’elles me sont ôtées ou que je me soumets à un régime systématique pour les reconquérir. En un mot ces possibilités sont non pas supprimées mais remplacées par un choix d’attitudes possibles envers la disparition de ces possibilités.Et d’autre part surgissent avec mon état nouveau des possibilités nouvelles : possibilités à l’égard de ma maladie (être un bon ou un mauvais malade), possibilités vis-à-vis de ma condition (gagner tout de même ma vie, etc..), un malade ne possède ni plus ni moins de possibilités, qu’un bien portant ; il a son éventail de possibles comme l’autre et il a à décider sur sa situation, c’est-à-dire à assumer sa condition de malade pour la dépasser (vers la guérison ou vers une vie humaine de malade avec de nouveaux horizons). Autrement dit, la maladie est une condition à l’intérieur de laquelle l’homme est de nouveau libre et sans excuses. Il a à prendre la responsabilité de sa maladie. Sa maladie est une excuse pour ne pas réaliser ses possibilités de non-malade mais elle n’en est pas une pour ses possibilités de malade qui sont aussi nombreuses…Ainsi suis-je sans repos : toujours transformé, miné, laminé, ruiné du dehors et toujours libre, toujours obligé de reprendre à mon compte, de prendre la responsabilité de ce dont je ne suis pas responsable. Totalement déterminé et totalement libre. Obligé d’assumer ce déterminisme pour poser au-delà les buts de ma liberté, de faire de ce déterminisme un engagement de plus ».

 

 

4279 L'INCONSCIENT PSYCHIQUE

Publié le 14/12/2022 à 05:54 par cafenetphilosophie Tags : enfant sur center vie moi place soi animal chez homme amis maison centre demain création art nature pouvoir

Rubrique "L'énigme de la conscience". Suite du billet N°4272.

 

Extrait de Philosophie pour tous, Tome VII (en cours de rédaction), A.MENDIRI

 

Prochain billet demain jeudi 15 décembre.

 

 

La conscience est-elle l’apanage de l’homme ? Au-delà est-elle la substance fondamentale de l’Univers ? Plus modestement la conscience constitue-t-elle la totalité de notre vie psychique ou bien au contraire la partie la plus superficielle, un inconscient psychique représentant l’essentiel de nos pensées, de nos représentations, de nos motivations ? Nietzsche est persuadé que la conscience n’est qu’un épiphénomène qui s’est développé sous la pression du besoin de communication, qui ne se manifeste que par la médiation du langage, et qui, à ce titre n’exprime que la voix du « troupeau » et non pas notre individualité.

Depuis le milieu du XIX° siècle, la psychologie scientifique avec Janet d’abord et surtout Freud ensuite, l’hypothèse d’un inconscient psychique a été prise en compte pour expliquer la totalité de nos comportements, normaux ou pathologiques. Ce qui caractérise Freud et certains de ses disciples comme Mélanie Klein ou Lacan c’est de faire de la sexualité ou de la libido la source exclusive des phénomènes inconscients. En revanche Adler ou Jung fondent leurs théories psychologiques sur d’autres présupposés, le sentiment d’infériorité pour le premier, l’hypothèse d’un inconscient collectif pour le second.

Toujours est-il que Freud tire des conséquences philosophiques de cette hypothèse, à ses yeux, incontestable, d’un inconscient psychique. Voici ce qu’il en dit dans «L’ Introduction à la psychanalyse » : « dans le cours des siècles, la science a infligé à l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la Terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine ait déjà annoncé quelque chose de semblable » (allusion aux hypothèses d’Aristarque de Samos au III° siècle av. J.C). 

Et il poursuit : « Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal...Le troisième démenti sera infligée à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de monter au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en-dehors de sa conscience, dans sa vie psychique ».

Cependant, la réflexion philosophique, c’est-à-dire la réflexion critique, est conduite à poser la question suivante : la notion d’un inconscient psychique a-t-elle un sens ? Ne peut-on s’interroger sur sa pertinence et sur sa cohérence ? Les analyses de René Girard concernant la nature mimétique du désir remettent en question cette hypothèse d’un inconscient psychique. Pour Girard le désir ne porte pas sur un objet précis mais sur le désir d’autrui. Cela conduit à réinterpréter le fameux complexe d’œdipe qui, selon Freud, amène le petit garçon à désirer inconsciemment sa mère et à vouloir « tuer » inconsciemment le rival, c’est-à-dire le père.

Or si les thèses de Girard sont prises en compte, le petit garçon ne fait que désirer consciemment le désir du père lorsqu’il constate les relations privilégiées entre le père et la mère. Girard en conclut que Freud a inventé l’inconscient afin d’échapper à l’absurdité d’un désir sexuel conscient du très jeune enfant pour sa mère.

Les conceptions de Girard font donc l’économie de l’hypothèse d’un inconscient psychique. Elles rejoignent le refus radical d’Alain, mais de manière sans doute mieux étayée. Alain en effet dans « Éléments de philosophie » remet en cause l’inconscient psychique au nom des présupposés de Descartes selon lesquels n’existent que deux substances distinctes, l’esprit et le corps : « Le freudisme, si fameux, est un art d’inventer en chaque homme un animal redoutable, d’après des signes tout à fait ordinaires ; les rêves sont de tels signes : les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d’où un symbolisme facile… L’homme est obscur à lui-même ... Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d’inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l’inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu’il n’y a point de pensées en nous sinon par l’unique sujet, Je... Il ne faut point se dire qu’en rêvant on se met à penser. Il faut savoir que la pensée est volontaire ; tel est le principe du remords... On dissoudrait ces fantômes en se disant simplement que tout ce qui n’est point pensée est mécanisme, ou encore mieux, que ce qui n’est point pensée est corps, c’est-à-dire chose soumise à ma volonté... L’inconscient est donc une manière de donner dignité à son propre corps ; de le traiter comme un semblable...L’inconscient est une méprise sur le Moi, c’est une idolâtrie du corps...Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal ».

J.P. Sartre pour sa part conteste l’idée d’inconscient psychique en partant de l’analyse de la conscience et de la critique du processus qui serait à son origine, à savoir la censure par la conscience des interdits éducatifs. Sartre ne conteste nullement que la connaissance de soi soit une démarche difficile, parfois douloureuse et qu’en conséquence il y ait en nous, pour ces raisons, des zones volontairement laissées dans l’ombre.

Sartre, quoique athée et matérialiste, appartient à ce courant de pensée philosophique qui attribue à la conscience et donc au sujet conscient « Je », non seulement une capacité de savoir mais également un pouvoir, celui de décider ce que je suis, l’image que je veux renvoyer aux autres mais aussi à moi-même. Pour lui, en effet la conscience est ontologiquement non-coïncidence avec un quelconque de ses contenus. Elle est donc un pouvoir de dire « non » à chacune des représentations qui habite son univers intérieur. Car chacune d’entre elles incarne une valeur, une manière de voir les choses. Elles ne sont nullement des déterminismes incontournables. C’est au « Je » de décider s’il choisit ou non cette valeur. L’homme conscient est donc condamné à faire des choix. Il est condamné à la liberté.

Dès lors que je m’abrite derrière l’alibi d’un déterminisme, qu’il soit biologique, social, psychologique, je suis de mauvaise foi, c’est-à-dire que je me trompe moi-même. Se tromper ne signifie pas ici commettre une erreur mais doit être pris au sens moral du terme. Je me masque volontairement la vérité par facilité ou lâcheté. Lorsque je prétends ne pas me connaître, c’est à la fois vrai et faux ; Vrai car il existe des zones obscures en moi que je ne veux pas voir. Il s’agit d’un non-conscient volontaire ; Faux car ces zones d’ombre sont voulues et je suis de mauvaise foi en proclamant que je ne saurais y accéder. C’est un mensonge que je fais délibérément vis-à-vis de moi-même.

Ce que Sartre met en cause dans la théorie de l’inconscient de Freud c’est la notion de censure. Comment le « Je » conscient peut-il censurer sans avoir conscience de ce qu’il censure ? La conscience n’a en effet qu’une seule manière d’exister c’est d’avoir conscience qu’elle existe. Le mécanisme de la censure « inconsciente » n’a pas de sens.

Certes, il serait peut-être possible d’objecter à J.P. Sartre que le mécanise qui amène la conscience à censurer certains contenus n’est pas de l’ordre de la conscience claire mais seulement du « senti ou du ressenti ». Souvenons-nous de la conscience immédiate et non réfléchie de celui qui pédale et qui n’a pas présent à l’esprit les moyens moteurs qui lui permettent d’accomplir cet acte. Mais cette absence de réflexion est volontaire car inutile, sans objet. Peut-on dire qu’il en va de même concernant le « ressenti » de l’interdit que je dois refouler ou censurer ? Car si je n’y réfléchis pas volontairement cela ne signifie-t-il pas que je pourrais y réfléchir et que je ne le fais pas car je me trouve confronté à un problème que je veux fuir ? Nous retombons alors sur la mauvaise foi ou le mensonge que je fais à moi-même.

Cette critique philosophique de la notion d’inconscient psychique peut être prolongée par une critique épistémologique, c’est-à-dire relative aux procédures nécessaires pour aboutir à des conclusions scientifiques véritables. C’est cette critique qu’entreprend Karl Popper. Rappelons que le principe méthodologique qui fonde une vérité scientifique est pour cet épistémologue celui de la « falsification ». Cela signifie qu’une théorie doit toujours prévoir les faits qui éventuellement remettraient en cause ou falsifierait celle-ci.

Or précisément Popper considère que les sciences humaines en général et en particulier les théories relatives à l’inconscient psychique sont très loin de prendre en compte ce critère de « falsification ». Voici comment il s’exprime à cet égard dans « La science, conjectures et réfutation » : « J’avais remarqué que ceux de mes amis qui s’étaient faits les adeptes de Marx, Freud et Adler , étaient sensibles à un certain nombre de traits communs aux trois théories et tout particulièrement à leur pouvoir explicatif apparent. Celles-ci semblaient aptes à rendre compte de la quasi-totalité des phénomènes qui se produisaient dans leurs domaines respectifs. .. Dès lors qu’on avait les yeux dessillés, partout l’on apercevait des confirmations : l’univers abondait en vérifications de la théorie…

Popper propose alors un exemple qui a trait aux théories respectives de Freud et d’Adler : « J’illustrerai ceci à l’aide de deux exemples, très différents de comportement : celui de quelqu’un qui pousse à l’eau un enfant dans l’intention de le noyer, et celui d’un individu qui ferait le sacrifice de sa vie pour tenter de sauver l’enfant. On peut rendre compte de ces deux faits avec une égale facilité, en faisant appel à une explication de type freudien ou de type adlérien. Pour Freud, le premier individu souffre d’un refoulement (affectant, par exemple, l’une des composantes de son complexe d’œdipe), tandis que, chez le second, la sublimation ( processus qui transforme des pulsions en valeurs socialement reconnues) est réussie. Selon Adler, le premier souffre de sentiment d’infériorité  (qui font peut-être naître en lui le besoin de se prouver à lui-même qu’il peut oser commettre un crime), tout comme le second (qui éprouve le besoin de se prouver qu’il ose sauver l’enfant) ».

Et l’auteur de conclure : « Je ne suis pas parvenu à trouver de comportement humain qui ne se laisse interpréter selon l’une et l’autre de ces théories. Or c’est précisément cette propriété- la théorie opérait dans tous les cas et se trouvait confirmée- qui constituait, aux yeux des admirateurs de Freud et Adler, l’argument le plus convaincant en faveur de leurs théories. Et je commençais à soupçonner que cette force apparente représentait en réalité leur point faible ».

Cette démarche des théoriciens de l’inconscient est d’autant plus aisée que leurs présupposés communs consistent à opposer les faits apparents et leurs causes cachées. Celles-ci peuvent alors être élaborées de telle sorte qu’elles soient toujours en accord avec leurs principes théoriques. Cependant, une objection peut être adressée à Popper : toutes les activités scientifiques et en particulier les sciences humaines doivent-elles se plier au principe méthodologique rigide et universel de « falsification » ? C’est ce que conteste un autre épistémologue, Feierabend en l’occurrence, pour qui toutes les méthodes ont leur valeur dès lors qu’elle prouve leur fécondité. Dès lors, le débat sur la réalité d’un inconscient de nature psychique reste ouvert.

 

 

 

4272 L'HYPOTHESE DE L'INCONSCIENT PSYCHIQUE

Publié le 07/12/2022 à 05:58 par cafenetphilosophie Tags : sur plat vie moi place amour monde soi chez gain mode enfants société mort nature demain

Rubrique "L'énigme de la conscience". Suite du billret N°4265.

 

Extrait de Philosophie pour tous , Tome VII, A.MENDIRI (en cours de rédaction)

 

Prochain billet demain jeudi 08 décembre.

 

 

La conscience est selon toute vraisemblance l’apanage de l’homme. Peut-être même qu’elle constitue la substance fondamentale de l’Univers comme le soutiennent les panpsychistes. Si cette dernière hypothèse devait être retenue, cela aurait le mérite de mieux faire comprendre les phénomènes de mort imminente au cours desquels le sujet perçoit très clairement et lucidement son environnement alors même que son électroencéphalogramme est plat. La conscience ne pourrait plus être considérée comme la production d’un cerveau mais comme une réalité, dont la nature resterait à préciser, et qui serait seulement captée par lui.

Pourtant, à travers l’histoire de la pensée, le rôle et l’importance de la conscience se sont vus relativisés à l’extrême. Nous n’évoquons pas ici la théorie de la réminiscence de Platon qui, de manière mythique, tente de rendre compte du fonctionnement de la pensée et de ses étonnantes capacités qui ne sauraient provenir de la seule expérience sensible. Mais c’est en revanche le cas de Nietzsche pour qui, l’étonnant c’est le corps, la conscience ne s’étant développée que sous la pression du besoin de communication, l’essentiel de nos pensées demeurant inconscientes.

Ces thèses purement philosophiques se sont vues confortées par la psychologie du XIX° siècle, sous l’impulsion de Janet notamment. Les troubles mentaux sont expliqués par des causes purement psychologiques, et dont les origines seraient enfouies au sein d’un psychisme inconscient. Dès lors, pour traiter de tels troubles, apparaît une forme nouvelle de thérapie, elle-même purement psychologique, à savoir la psychothérapie et en particulier l’hypnose.

Freud est le témoin de ces évolutions intellectuelles et cela l’amène à proposer une nouvelle théorie de l’inconscient et corollairement une thérapie originale, la psychanalyse. Ainsi, contrairement à ce qu’est portée à penser l’opinion commune Freud n’a pas inventé l’inconscient psychique ni la psychothérapie mais son apport réside dans le rôle qu’il attribue à la sexualité dans la formation de l’inconscient en question.

Qu’entend Freud par sexualité ? Il ne s’agit pas de son sens habituel, à savoir pour l’essentiel les relations génitales entretenues par deux ou plusieurs personnes. La sexualité, qu’il désigne sous le terme de libido, renvoie à l’ensemble des satisfactions sensuelles apportées par le contact avec le corps d’autrui ou son propre corps mais en même temps associées étroitement avec des émotions psychiques très fortes liées au besoin de sécurité et au besoin d’aimer et d’être aimé voire reconnu.

Définie ainsi, la libido concerne l’individu dès sa naissance. Il devient légitime d’évoquer une sexualité infantile sans pour autant devoir être taxé, comme ce fut souvent le cas, d’un intérêt excessif et abusif pour les phénomènes sexuels, bref de pan-sexualisme. En effet, comment se constituerait l’inconscient psychique ? L’enfant a besoin d’une éducation afin de s’intégrer au sein de la société. L’éducation ne va pas sans interdits. Ceux-ci prennent un sens vital et émotionnel, dans la mesure où en cas de transgression l’enfant a peur de perdre protection et amour des parents ou des éducateurs. Dès lors, ces interdits se voient refoulés, censurés dit Freud par la conscience afin de conserver un équilibre psychique. Ils ne sont donc pas oubliés mais mémorisés de manière inconsciente.

En conséquence, ces souvenirs continueront à influencer les pensées et l’action des individus mais de manière inconsciente. Ils se manifesteront mais de manière cachée. Les manifestations en question constitueront des symptômes de la mémoire inconsciente qu’il sera nécessaire d’interpréter et de déchiffrer : « ces actes innombrables de la vie quotidienne...se caractérisent par le fait qu’ils manquent leur but : on pourrait les grouper sous le nom d’actes manqués. D’ordinaire, on ne leur accorde aucune importance. Ce sont des oublis inexplicables (par exemple l’oubli momentané des noms propres), les lapsus...les maladresses, la perte ou le bris d’objets, etc., toutes choses auxquelles on n’attribue ordinairement aucune cause psychologique et qu’on considère simplement comme des résultats du hasard, des produits de la distraction, de l’inattention, etc. cela s’ajoutent encore les actes et les gestes que les hommes accomplissent sans les remarquer et, à plus forte raison, sans y attacher d’importance psychique : jouer machinalement avec des objets, fredonner des mélodies, tripoter ses doigts, ses vêtements, etc...ils expriment… des pulsions et des intentions que l’on veut cacher à sa propre conscience C’est par eux que l’homme trahit le plus souvent ses secrets les plus intimes ».

Parmi tous ces symptômes, le rêve occupe une place privilégiée. Le rêve est la voie royale pour connaître l’inconscient. Le sens des rêves demeure caché au rêveur, sans quoi celui-ci se réveillerait, effrayé par la nature de ses désirs inconscients. Mais en même temps, la conscience est inactive pendant le sommeil et relâche donc sa censure. C’est en ce sens que le rêve est un instrument particulièrement utile à interpréter afin de dévoiler notre vie intérieure. Le psychanalyste devra relier les éléments d’un rêve comme on reconstitue un puzzle afin de retrouver et de dessiner le visage de notre moi inconscient.

Dans « Cinq leçons sur la psychanalyse », Freud légitime ainsi l’hypothèse de l’inconscient psychique : «  On nous conteste de tous les côtés le droit d’admettre un psychique inconscient et de travailler scientifiquement avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l’existence de l’inconscient. Elle est nécessaire parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires...notre expérience quotidienne la plus personnelle nous met en présence d’idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l’origine...Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques...(l’hypothèse de l’inconscient) apporte un gain de sens et de cohérence… Et s’il s’avère de plus que nous pouvons fonder (sur elle) une pratique couronnée de succès…. nous aurons acquis … une preuve incontestable de l’existence de ce dont nous avons fait l’hypothèse ».

Cette théorie de l’inconscient psychique fondée sur la libido ou la sexualité a été précisée par Mélanie Klein concernant les enfants. Le mode d’expression naturel des enfants réside dans le jeu. C’est donc par ce moyen qu’il sera possible d’explorer leur monde intérieur. Car le jeu est certes pour l’enfant un moyen d’explorer le monde extérieur mais également de manifester ses fantasmes et d’exprimer ses angoisses. Pour les enfants le jeu témoigne des mêmes fantasmes que les rêves chez l’adulte tout en étant déjà une épreuve de la réalité.

Plus tard, sous l’influence du courant structuraliste, Lacan prétendra effectuer une simple relecture de Freud à la lumière des thèses en question. C’est ainsi que pour Lacan, le langage est une structure autonome sans prise sur le réel. Le langage ne permet donc pas de penser le réel. L’homme est langage et le réel reste indicible. Certes nous continuons à vouloir donner un sens à la réalité et nous utilisons pour cela l’imaginaire. Celui-ci puise dans l’inconscient qui est structuré comme un langage. C’est ainsi que le désir peut être considéré comme une métonymie, figure par laquelle on exprime un concept au moyen d’un terme désignant un autre concept qui lui est uni par une relation nécessaire. Par exemple nous disons « boire un verre », c’est-à-dire son contenu. De même, le symptôme peut-il être assimilé à une métaphore.

Lacan a suscité de nombreuses polémiques et certains le considèrent comme un trublion de la psychanalyse voire un charlatan qui fascinait ses auditoires alors même que ceux-ci n’en comprenaient guère un seul mot. Mais que ce soit Mélanie Klein ou Lacan, ces deux réformateurs de la psychanalyse freudienne conservent l’idée -clef selon laquelle l’origine de l’inconscient psychique est d’origine sexuelle. Tel ne fut pas le cas de deux célèbres dissidents de Freud, à savoir Adler et Jung.

Pour Adler, ce qui joue un rôle fondamental, ce ne sont pas les pulsions sexuelles mais le sentiment d’infériorité. Ce sentiment résulte de l’état de dépendance dont l’enfant fait l’expérience douloureuse. Dès lors l’enfant développe des mécanismes de défense compensatoires qui peuvent conduire à des troubles mentaux comme les névroses, trouble qui se caractérise par le fait que le sujet est conscient de celui-ci mais sans en connaître l’origine, l’angoisse ou une phobie quelconque par exemple. Le praticien doit s’efforcer de découvrir et de rationaliser de tels sentiments. D’une manière générale Adler a souligné l’importance de la société dans la construction de la vie psychique et dans l’origine notamment de la névrose. L’antipsychiatrie étendra plus tard cette origine sociale des troubles mentaux à la psychose, état psychologique où le sujet n’est plus conscient de son trouble et se coupe donc de la réalité comme par exemple la paranoïa, maladie de la persécution ou la schizophrénie, où le sujet confond son imaginaire avec la réalité.

Jung pour sa part a introduit l’idée d’un inconscient collectif qui colorerait ou sur-déterminerait l’inconscient individuel. L’inconscient collectif serait constitué par des signifiants universels ou des symboles communs à toutes les civilisations. Dès lors la libido ou l’affectivité ne se réduit plus à la sexualité Le symbole n’est pas un masque de la vie intérieure comme le symptôme freudien mais au contraire un révélateur de celle-ci. L’analyse consiste alors à effectuer une interprétation correcte des symboles collectifs ainsi surdéterminés par l’histoire individuelle du sujet. Car la psyché complète est beaucoup plus vaste que le moi conscient mais aussi que l’inconscient personnel. Au-delà de ce dernier, l’inconscient collectif ou des symboles de portée universelle existerait antérieurement à toute expérience et donc de manière innée. En interprétant de manière correcte le rôle de ces symboles dans l’histoire individuelle d’un sujet, le praticien rétablirait l’harmonie avec soi et le monde et mettrait un terme à tout conflit.

En dépit de leurs divergences, tous ces théoriciens s’accordent sur l’idée d’un psychisme inconscient. Mais cela va-t-il de soi ? C’est ce qu’il nous faudra examiner lors du prochain développement.

 

4265 PSYCHISME ET CONSCIENCE

Publié le 30/11/2022 à 05:52 par cafenetphilosophie Tags : sur vie moi monde animaux animal chez femme mort nature cadre pouvoir demain

Rubrique "L'énigme de la conscience". Suite du billet N°4258.

 

Extrait de Philosophie pour tous , Tome VII, A.MENDIRI (encours de rédaction)

 

Prochain billet demain jeudi 01 décembre

 

 

La conscience est une faculté qui permet à l’homme de savoir qu’il existe et que le monde existe. Sa capacité de recul par rapport à ses contenus rend possible la pensée qui conduit à distinguer le monde perçu d’un monde possible et à abstraire. La conscience constitue l’être humain en sujet qui peut dire « Je ». De ce fait l’homme ne se contente pas de vivre comme l’animal. Le vécu de celui-ci relève du senti alors que l’homme est capable de réflexion.

Sur le plan ontologique la question se pose de savoir si la conscience apparaît graduellement chez l’animal de la bactérie à l’homme ou bien si elle renvoie à une émergence radicale à partir d’un certain degré de complexité du système nerveux central. Il est vrai que l’apparition de la conscience n’est sans doute pas liée à l’organisation particulière de notre cerveau, résultat aléatoire de millions d’année d’évolution, mais à un certain degré de complexité de l’organisation matérielle.

Cependant, le débat reste ouvert pour savoir si la conscience est produite par le cerveau comme la bile par les cellules hépatiques ou si elle possède un autonomie par rapport à lui., le cerveau ne faisant que la capter. Les EMI, expériences de mort imminente, relancent ce débat avec acuité et certains comme Chalmers vont jusqu’à faire de la conscience la substance fondamentale de l’univers. Toutes les composantes de celui-ci incarneraient des unités d’information qui à un certain degré de complexité constitueraient la conscience proprement dite.

Mais un autre problème se pose : l’univers intérieur de l’homme se réduit-il à la seule vie consciente ? Ce qu’on appelle ordinairement le psychisme semble recouvrir cette notion de vie intérieure. Il nous faut donc au préalable préciser ce que nous entendons par psychisme, notion au premier abord assez vague . Si nous éprouvons le besoin de faire appel à ces deux notions de conscience et de psychisme c’est, semble-t-il pour pouvoir rendre compte de l’ensemble des phénomènes intérieurs se manifestant aussi bien chez l’homme qu’au sein du monde animal. Nous pensons notamment aux perceptions, aux sensations, éventuellement aux émotions, à la mémoire, dans le meilleur des cas à l’imagination.

Le psychisme renvoie en effet à un ensemble d’évènements ou de propriétés intérieures permettant de capter et d’interpréter les informations venant de l’environnement ou de l’être vivant concerné lui-même et ce, en vue de l’adaptation au milieu. Mais cette définition s’avère insuffisante. Car les végétaux doivent pouvoir communiquer de cette manière en vue de leur adaptation et de leur survie. Or, on ne leur attribue pas, avec raison, une vie psychique. Le psychisme recouvre donc cette capacité d’adaptation au milieu mais accompagnée de sensations. De ce point de vue, la sensation constitue le cœur même de ce qu’on appelle psychisme.

Ces considérations nous ramènent à la nature même de la conscience. Celle-ci ne se réduit pas, comme nous l’avons vu, à la simple sensation mais au savoir qui accompagne cette sensation. A partir de là, il est possible et même légitime de s’interroger sur la nature exacte de ce savoir, dès lors qu’il porte sur le sujet lui-même. Ce savoir est-il toujours parfaitement clair, le sujet est-il en mesure de connaître clairement la nature exacte de son ressenti ? Autrement dit, est-ce que la nature de ce ressenti échappe pour partie ou pour l’essentiel à la connaissance de la conscience ? En somme, existe-t-il une forme d’inconscient psychique ?

C’est ainsi que Freud considère à cet égard dans « L’interprétation des rêves » que « l’inconscient est le psychique lui-même et son essentielle réalité. Sa nature intime nous est aussi inconnue que la réalité du monde extérieur, et la conscience nous renseigne sur lui d’une manière aussi incomplète que nos organes des sens sur le monde extérieur ».

Cela nous amène à préciser cette notion d’inconscient psychique. Car le terme d’inconscient recouvre de multiples sens qu’il convient de bien discerner. La notion d’inconscient peut-être de nature purement médicale. Elle renvoie à la notion de coma c’est-à-dire d’un état physiologique ne permettant plus aux phénomènes conscients de se manifester. L’inconscient peut avoir trait aux gestes mécaniques réalisés par habitude et qui ne mobilisent plus l’attention et la réflexion. C’est par exemple le cas lorsque nous pédalons. Nous ne réfléchissons plus aux mouvements moteurs que nous devons accomplir afin de nous tenir en équilibre. L’inconscient peut revêtir enfin un sens moral : le conducteur qui prend le volant alors même qu’il est en état d’ébriété voit sa conduite qualifiée d’inconsciente, puisqu’il n’est plus à même d’avoir présentes à l’esprit les conséquences possibles de son choix.

Or, l’idée d’inconscient psychique revêt encore un autre sens. Le sujet ne se connaît pas clairement lui-même. Les motivations réelles qui guident son action, les choix qu’il opère, le sens de ses ressentis, lui échappent pour partie et même, pour certains, pour l’essentiel. Il va donc nous falloir, dans un premier temps, nous intéresser à la construction progressive de cette notion d’inconscient dans le cadre de l’histoire de la pensée.

Curieusement, l’idée la plus célèbre « d’inconscient » n’est pas de nature psychologique mais métaphysique. On la trouve avec la théorie platonicienne de la réminiscence. De quoi s’agit-il ? Platon se pose la question suivante : comment, par exemple, puis-je avoir l’idée de causalité alors que l’expérience sensible me renvoie certes des images de la réalité sensible mais au sein de celle-ci la causalité est absente en tant précisément que réalité sensible ? Cette idée ne peut provenir que de mon univers intérieur. Or, comment peut-elle s’y trouver alors que je n’en ai jamais fait l’expérience ? Il faut qu’au sein d’une vie antérieure, au sein d’un monde des idées, j’ai pu rencontrer cette idée et la mémoriser. Telle est l’explication de l’ordre du mythe de Platon. Le mythe permet de rendre compte de ce que l’intelligence limitée de l’homme ne peut saisir. De ce fait « Connaître, c’est reconnaître » Tel est le fameux mythe de la réminiscence. Il s’agit donc d’une idée qui est en moi et dont j’ignore la provenance. Pourtant cette idée me permet d’interpréter et de comprendre la réalité telle quelle s’offre à mes sens et à mon intelligence.

Mais sur le plan philosophique c’est Nietzsche qui a théorisé avec le plus de force l’idée d’un inconscient psychique. Nietzsche relativise le rôle de la conscience. Il en fait un phénomène superficiel, un épiphénomène. Pour lui, ce qui est remarquable, c’est le corps et non la conscience: « Nous considérons que c’est par une conclusion prématurée que la conscience humaine a été si longtemps tenue pour le degré supérieur de l’évolution organique et la plus surprenante des choses terrestres, voire comme leur efflorescence suprême et leur terme. Ce qui est plus surprenant, c’est bien plutôt le corps ».

Et l’auteur précise ainsi sa pensée : « La splendide cohésion des vivants les plus multiples, la façon dont les activités supérieures et inférieures s’ajustent et s’intègrent les unes aux autres, cette obéissance multiforme, non pas aveugle, bien moins encore mécanique, mais critique, prudente, soigneuse, voire rebelle,-tout ce phénomène du « corps » est, au point de vue intellectuel, aussi supérieur à notre conscience, à notre « esprit », à nos façons de penser, de sentir et de vouloir, que l’algèbre est supérieure à la table de multiplication » (La volonté de puissance ».

Il en tire les conclusions suivantes sur le rôle réel de la conscience et de la pensée : « Nous pourrions en effet penser, sentir, vouloir, nous ressouvenir, nous pourrions de même « agir » dans tous les sens du terme : tout ceci n’aurait nullement besoin d’« entrer dans notre conscience » . La vie entière serait possible sans pour autant se voir réfléchie : c’est effectivement ainsi d’ailleurs que pour nous la majeure partie de la vie continue à s’écouler sans pareille réflexion- y compris même notre vie pensante, sensible, voulante- si malsonnant que puisse être ceci aux oreilles d’un ancien philosophe. Pourquoi d’ailleurs absolument la conscience, dès lors quelle est superflue à l’essentiel ? ». (Gai savoir)

Ces considérations amènent Nietzsche à faire du développement de la conscience une conséquence du besoin vital de communication entre les hommes : « La conscience n’est qu’un réseau de communication entre hommes ; c’est en cette seule qualité qu’elle a été forcée de se développer ...c’est le résultat d’une terrible nécessité qui a longtemps dominé l’homme, le plus menacé de tous les animaux...il était obligé de savoir dire (ses) besoins… et pour cela...il fallait qu’il eût une « conscience »...Car comme toute créature vivante, l’homme...pense constamment, mais il l’ignore ; la pensée qui devient consciente ne représente que la partie la plus infime,disons la plus superficielle, ..de tout ce qu’il pense : car il n’y a que cette pensée qui s’exprime en paroles… la conscience n’appartient pas essentiellement à l’existence individuelle de l’homme, mais au contraire à la partie de sa nature qui est commune à tout le troupeau...en dépit de la meilleure volonté qu’il peut apporter à se « connaître »...nul de nous ne pourra jamais prendre conscience que de son côté non individuel et « moyen ». (Gai savoir)

A la même époque, la psychologie de la fin du XIX° siècle, en particulier avec Janet, croit établir l’existence d’une seconde conscience au-dessous de la pensée normale, faite de souvenirs, d’images, de sensations qui déterminent notre comportement sans que le sujet en ait conscience. C’est ainsi que les troubles hallucinatoires, délirants, obsessionnels semblent la conséquence d’une désagrégation psychique prouvant l’existence d’une activité psychique inconsciente.

Dès lors l’explication purement psychologique du trouble mental se voit susceptible d’être traité par des moyens purement psychologiques ; c’est-à-dire par la psychothérapie. D’où la pratique de l’hypnose, certains symptômes hystériques pouvant par exemple disparaître par évocation de souvenirs traumatisants enfouis dans l’inconscient. C’est le cas de Charcot à Nancy, célèbre à propos du cas d’Anna O. Cette jeune femme avait perdu le réflexe pupillaire en assistant à l’agonie de son père où elle s’était retenu de pleurer et souffrait d’anorexie pour la boisson, suite au spectacle du chien de sa gouvernante qui avait bu dans son verre. A l’issue de séances hypnotiques, où la conscience éveillée se voit neutralisée, Anna O. retrouve le réflexe pupillaire et demande à boire. Mais la guérison et de courte durée et Anna O. rechute.

Freud est témoin de cette guérison et de cette rechute. C’est ce qui l’amène à abandonner ses études de neuropsychiatrie et à fonder sa propre théorie de l’inconscient et une nouvelle pratique thérapeutique, la psychanalyse. C’est cet apport de Freud à l’analyse de l’inconscient psychique que nous allons aborder lors du prochain billet.

 

 

 

 

 

 

 

4258 LA CONSCIENCE AU SEIN DE L'UNIVERS

Publié le 23/11/2022 à 06:06 par cafenetphilosophie Tags : center demain sur plat vie monde animaux soi animal fleur homme mort création divers nature cadre pouvoir

Rubrique "L'énigme de la conscience"

 

Extrait de Philosophie pour tous, Tome VII, A.MENDIRI (en cours de rédaction)

 

Prochain billet demain jeudi 24 novembre.

 

La conscience est une notion qui apparaît évidente, vécue immédiatement par tous les hommes et qui pourtant est éminemment complexe au regard des problèmes philosophiques qu’elle soulève. En premier lieu, il faut s’attarder sur sa définition commune ou classique. Étymologiquement la conscience, « cumsciencia » en latin, signifie « accompagné de savoir ». Quel savoir ? Grace à cette faculté nous savons que nous existons et que le monde existe. Le terme exister se distingue du terme de vivre. Exister suppose que l’être concerné ne coïncide pas avec les contenus de sa vie intérieure, notamment avec le moment présent et qu’il se projette en avant de lui-même. L’animal se contenterait de vivre, de sentir qu’il vit alors que seul l’homme, être conscient, existerait au sens rigoureux du terme, c’est-à-dire saurait qu’il vit. L’animal en sentant qu’il vit possède un savoir. L’homme qui existe ne se contente pas de ce savoir immédiat car être conscient revient à savoir qu’on sait.

Parce qu’il sait qu’il existe, l’homme ou l’être conscient peut dire «  Je ». C’est ainsi que Kant, dans « l’Anthropologie du point de vue pragmatique » propose une analyse fort pertinente de cette situation particulière de l’homme conscient : «  Posséder le « Je » dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité de choses comme le sont les animaux sans raison...et ceci, même lorsqu’on ne peut pas encore dire Je, car il l’a cependant dans sa pensée ».

Ces considérations amènent l’auteur à comparer l’enfant et l’adulte : «  Il faut remarquer que l’enfant, qui sait déjà parler assez correctement, ne commence qu’assez tard...à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger ; marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il pense ».

Les observations de Kant nous amènent à distinguer conscience immédiate et conscience réfléchie. Cette dernière renvoie à la capacité de réflexion et à vrai dire à la conscience proprement dite. Ce recul par rapport à tous ses contenus rend possible ce qu’on appelle la pensée. Cette faculté permet en effet de distinguer le monde perçu d’un monde possible et de séparer ce qui est indissociable dans la réalité, c’est-à-dire d’abstraire. Le sujet conscient perçoit par exemple une fleur mais il en distingue la couleur, l’odeur, la consistance etc. En revanche la conscience immédiate est celle qui se manifeste sans être accompagnée d’une réflexion. C’est le cas, par exemple, lorsque nous pédalons sans penser à quoi que ce soit de précis. De ce fait,la conscience immédiate relève du « senti » et non du « pensé ».

Toujours est-il que la conscience proprement dite, c’est-à-dire la conscience réfléchie conduit J.P. Sartre à proclamer que « toute conscience est comédie » : « Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé et perpétuellement rompu, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un peu trop d’empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d’imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d’on ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable, qu’il rétablit perpétuellement d’un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s’applique à enchaîner ses mouvements comme s’ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes, il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s’amuse. Mais à quoi joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps pour s’en rendre compte.Il joue àêtregarçon de café ».

Ainsi la conscience me conduit en toutes circonstances à me voir agir, à jouer un rôle, à être à l’initiative de l’image que je veux renvoyer aux autres. Mais dans le même temps cette capacité de se représenter en permanence ce que j’ai choisi d’être fait la grandeur de l’homme. C’est ce que Pascal souligne dans « Les Pensées » : La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. C’est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable. Penser fait la grandeur de l’homme. Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête (car ce n’est que l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute. L’homme n’est qu’un roseau, le plus fable de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.Toute notre dignité consiste donc en la pensée ».

La conscience définirait donc l’homme. Pourtant, le débat reste ouvert entre ceux qui soutiennent que la conscience constitue l’apanage de l’homme et ceux qui sont persuadés que, à des degrés certes divers, la conscience est indissociable de l’être vivant animal, de la bactérie jusqu’à l’homme. Cette conception suppose donc que le réel soit continu, qu’il n’y ait pas de saut dans la nature, pas d’émergence brutale de propriétés nouvelles. L’état conscient ne renverrait pas à un état qualitatif original mais serait présent avec des gradations différentes tout au long de la chaîne de l’évolution.

Pourtant, il semble bien qu’il y ait des sauts qualitatifs au cours de l’évolution du cosmos. C’est à partir d’un certain degré de complexité de l’organisation matérielle que surgissent la vie et ses propriétés nouvelles comme l’unité indissociable des éléments constitutifs de l’être vivant et la reproduction sans parler de la sensation pour les êtres vivants du règne animal. Entendons-nous bien : nous ne disons pas comme les vitalistes du XIX° siècle que la vie est de nature différente de la matière mais simplement que la complexité croissante de l’organisation matérielle fait émerger des propriétés jusque là inconnues.

Or il semble qu’il en aille de même à propos de la complexité croissante des êtres vivants et en particulier de leur système nerveux central. A un certain degré de complexité émergerait ce qu’on appelle la conscience. Songeons que le chimpanzé, l’animal sans doute le plus complexe après l’homme ne possède que 9 milliards de neurones contre 100 milliards pour l’être humain. Si l’on songe que chaque neurone peut établir des centaines de mille de relations avec les autres neurones, on mesure le fossé abyssal entre l’homme et les autres espèces animales.

C’est pour cela qu’aucun animal n’accède à un véritable langage, car celui-ci suppose une création conventionnelle et la possibilité de combiner un nombre infini de messages à partir d’un nombre fini d’éléments. L’animal ne pense pas et donc n’est pas en capacité de créer un tel outil de communication.

Certes cette thèse suppose que le réel procède par sauts qualitatifs et soit discontinu. Mais c’est très précisément ce qui se passe dès l’organisation des niveaux les plus élémentaires de la matière. La physique quantique nous a appris que les échanges d’énergie s’effectuaient par paquets, par quanta, et que les trajectoires des électrons autour du noyau au sein des atomes observaient également des sauts de ce type.

Ces analyses pourraient laisser penser que nous défendons une conception finaliste de l’évolution, à l’image de celle du cosmologiste Trinh Xuan Thuan qui défend la thèse selon laquelle l’évolution de l’Univers obéirait à un principe de complexité croissante et que les paramètres physiques initiaux qui président à cette évolution sont tels afin qu’apparaissent des êtres conscients.

Nous sommes persuadés que l évolution, celle des êtres vivants en particulier,est structurée de manière aléatoire et traversée par une infinité de hasards contingents. La conscience, dans ce cadre là n’émergerait pas à partir de la seule organisation anatomique que nous connaissions, à savoir le cerveau de l’être humain. Une infinité d’organisations différentes sont sans doute susceptibles de faire émerger la conscience. Celle-ci ne pourrait néanmoins surgir qu’à partir d’un certain degré de complexité des êtres vivants.

Se pose alors la question de la nature et des conditions d’émergence de la conscience. Certes, elle appartiendrait à la même réalité que la vie ou la matière inerte. Seules ses propriétés originales la distinguerait des autres formes d’organisation du réel. Mais doit-on en conclure pour autant, comme le fait l’immense majorité des hommes de science et du corps médical, que la conscience est produite par le cerveau comme la bile par les cellules hépatiques ?

C’est le point de vue que soutient J.P. Changeux : « Les possibilités combinatoires liées au nombre et à la diversité des connexions du cerveau de l’homme paraissent suffisantes pour rendre compte des capacités humaines. Le clivage entre activités mentales et neuronales (que soutiennent les « émergentistes ») ne se justifie pas ; Désormais, à quoi bon parler d’« esprit » ? Il n’y a que deux « aspects » d’un seul et même évènement que l’on pourra décrire avec des termes empruntés soit au langage de la psychologie (ou de l’introspection), soit à celui des neurobiologistes » (L’homme neuronal 1983)

A l’opposé, Pom Van Lommel, tire de l’étude des EMI (expériences de mort imminente) les conclusions suivantes : « Le fait que les gens rapportent des expériences lucides dans leur conscience, quand l’activité cérébrale a cessé est difficile à concilier avec l’opinion médicale actuelle ( selon laquelle la conscience est localisée exclusivement dans le cerveau). Comment pourrait-il y avoir une conscience claire en-dehors du corps pendant une période de mort clinique, avec un électroencéphalogramme plat ? Et fait troublant, même les personnes aveugles ont décrit les mêmes perceptions lors de leur sortie du corps au moment de leur EMI. L’étude scientifique des EMI nous pousse dans nos retranchements et remet en cause nos connaissances médicales et neurophysiologiques » (Mort ou pas? 2012)

Cela conduit certains philosophes de la conscience comme Chalmers (XX° siècle) à considérer que la conscience constitue la substance fondamentale de l’Univers et que le cerveau ne produit pas la conscience mais ne fait que la capter en la canalisant en fonction de nos besoins d’adaptation à un milieu donné. En fait ce panpsychisme revient à proclamer que toute réalité est constituée d’unités d’information, et que la constitution de structures de plus en plus complexes fait émerger des degrés d’information ou de conscience de plus en plus élaborées. A certains égards, cette conception ne rend plus incompatibles les thèses gradualistes de la présence de la conscience et les thèses émergentistes qui font apparaître par sauts des propriétés nouvelles au sein de l’Univers. Bref, la nature de la conscience demeure encore mystérieuse et le débat à ce propos reste largement ouvert.