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22.10.2025
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Rubrique "Le bonheur'. Suite du billet N° 4181.
Extrait de Philosophie pour tous, Tome VII, A.Mendiri, Amazon.
Prochain billet demain jeudi 15 septembre.
Tous les hommes aspireraient au bonheur selon Platon. Pourtant, cette conviction du philosophe Grec ne va pas de soi. Nietzsche prétend que les hommes, à l’instar de tous les autres êtres vivants, visent la croissance, la puissance fut-ce au prix de contraintes douloureuses. D’ailleurs il semble bien difficile sinon impossible de déterminer ce que veulent les hommes, tant le concept de bonheur paraît indéterminé par nature. Toujours est-il qu’il n’y aurait pas de bonheur sans conscience du bonheur. De ce point de vue la notion de bonheur animal ou même de bonheur enfantin se voit dépourvue de sens. Il ne faut pas confondre bonheur et simple bien-être biologique.
A ce propos, afin de mieux discerner le contenu de la notion de bonheur, il convient de bien distinguer besoin et désir. Le besoin se traduit par la sensation d’un manque qui peut ponctuellement être comblé. Les besoins humains dépassent très largement les besoins du monde animal, restreints aux seuls besoins vitaux. L’homme est un être de culture qui voit ses besoins s’étendre à de multiples biens matériels le libérant de contraintes naturelles voire sociales et qui visent de surcroît des besoins purement spirituels comme le besoin de connaissance, l’aspiration à la beauté, l’interrogation sur le sens de la vie sans compter le besoin impérieux d’être reconnu par autrui, besoin lié à son statut d’être conscient.
Ces besoins dont la plupart sont spécifiquement humains amènent à distinguer pauvreté et indigence par rapport à la situation particulière des membres de la société qui ont des difficultés pour accéder à ces biens. La pauvreté est une notion conventionnelle caractérisée par une possession de ces biens inférieure à la moyenne alors que l’indigence est une notion naturelle relative à la difficulté de satisfaire des besoins vitaux. Quoi qu’il en soit Aristote note avec pertinence qu’il ne saurait y avoir un bonheur véritable chez une personne privée pour l’essentiel de ces biens extérieurs même s’il demeure vrai que ce n’est pas l’abondance de ces biens qui est nécessaire afin de pratiquer de bonnes actions.
Toutes ces considérations ne concernent que les besoins humains. Mais qu’en est-il du désir? Il est vrai que l’opinion commune a tendance à assimiler ces deux notions de besoin et de désir. Pourtant le désir est une dimension spécifiquement humaine liée au statut conscient de l’homme. La conscience en effet a pour conséquence que le sujet humain ne coïncide jamais avec un quelconque contenu de conscience et notamment avec la dimension temporelle du présent. Dès lors, le sujet est toujours projeté en avant de lui-même. C’est à ce titre que l’on peut dire qu’il existe et qu’il ne se contente pas de vivre comme l’animal. Exister c’est avoir conscience que l’on vit.
De ce fait, l’homme est un être de projet, tourné vers ce qui va advenir. Le désir permet à l’homme de se dépasser en permanence, de s’arracher au temps présent, de ne pas se contenter du simple bien-être biologique de l’animal. Mais le désir se présente en même temps comme une source perpétuelle d’insatisfaction. Car, contrairement au besoin, l’objectif du désir atteint ne l’éteint pas, même temporairement. Il se porte aussitôt sur un autre objet. Il renaît en permanence de ses cendres.
En ce sens le désir, proclame Platon est par nature richesse et pauvreté. Il est pauvreté puisqu’il ne possède pas l’objet qu’il vise. Il est richesse puisqu’il connaît et reconnaît la valeur de l’objet recherché. Par exemple, la jeune personne qui ne désire pas, par ignorance, écouter du Mozart trahit par là même sa pauvreté culturelle ou musicale. En revanche, celle qui n’est pas en mesure d’en écouter ici et maintenant mais qui y aspire exprime par là même une forme de richesses intérieure.
Remarquons que le désir peut également se porter sur un bien que l’on possède déjà comme le souligne également Platon. Si je suis en bonne santé je peux continuer à désirer d’être en bonne santé car j’ai conscience de la fragilité de la condition de la finitude et du caractère nécessairement éphémère de mon état présent. Rousseau complète cette analyse en faisant de l’imagination, cette «folle du logis» selon Malebranche, le moteur essentiel du désir. En conséquence, poursuit le célèbre philosophe genevois, le désir embellit l’objet imaginé et vaut mieux que la possession qui très souvent s’accompagne par contraste par de la déception.
Au XX°siècle René Girard a montré de plus que le désir était par essence mimétique. Le désir ne se porterait pas à vrai dire sur un objet mais sur le désir d’autrui. C’est dans le mesure où autrui désire un objet quelconque que moi-même je désire ce même objet. Lorsque cet objet n’est pas partageable, comme les honneurs, une personne aimée, une promotion professionnelle etc., le désir engendre le conflit. Il est à vrai dire à l’origine de toutes les formes de violence.
Dès lors le statut du désir ainsi entendu soulève des questions éthiques et les réponses à ces questions éthiques une certaine idée philosophique de l’homme. Doit-on laisser libre cours à tous nos désirs? L’intempérance est-elle la clef du bonheur? Platon dans «Gorgias» expose son point de vue en rappelant le fameux mythe du tonneau des Danaïdes, tonneau percé et qui nécessite de ce fait qu’on l’alimente en permanence sans que jamais il puisse être rempli , apportant ainsi une complète satisfaction à l’homme.
Voici à ce propos un extrait d’un dialogue entre Socrate, porte-parole de Platon et Calliclès, personnage fictif et incarnant le contradicteur sans concession de ce même Platon: «Suppose, dit Socrate, qu’il y ait deux hommes qui possèdent chacun un grand nombre de tonneaux. Les uns sont remplis de toutes sortes de choses. Chaque tonneau est donc bien plein de ces denrées liquides qui sont rares, difficiles à recueillir et qu’on obtient qu’au terme de maints travaux pénibles. Mais, au moins, une fois que cet homme a rempli ces tonneaux, il n’y a plus à reverser quoi que ce soit ni à s’occuper d’eux; au contraire, quand il pense à ses tonneaux, il est tranquille»
Et il poursuit: L’autre homme, quant à lui, serait aussi capable de se procurer ce genre de denrées, même si elles sont difficiles à recueillir, mais comme ses récipients sont percés et fêlés, il serait forcé de les remplir sans cesse, jour et nuit, en s’infligeant les plus pénibles peines. Alors, regarde bien, si ces deux hommes représentent chacun une manière de vivre, de laquelle des deux dis-tu qu’elle est la plus heureuse? Est-ce la vie de l’homme déréglé ou celle de l’homme tempérant? En te racontant cela, est-ce que je te convaincs d’admettre que la vie tempérante vaut mieux que la vie déréglée?».
Calliclès répond alors «Tu ne me convaincs pas, Socrate. Car l’homme dont tu parles, celui qui a fait le plein en lui-même et en ses tonneaux, n’a plus aucun plaisir, il a exactement le type d’existence dont je parlais tout à l’heure: il vit comme une pierre. S’il fait le plein, il n’éprouve ni joie ni peine. Au contraire, la vie de plaisirs est celle où on verse et on reverse autant qu’on peut dans son tonneau».
Pourtant, cette dernière attitude prend le risque d’un affadissement des satisfactions et devient à terme une source de désenchantement. En effet, puisque le désir suppose la prise de conscience de la valeur de l’objet du désir, il engendre dans le même temps des interdits concernant tout ce qui atteint la valeur et le sens de son objet. Cependant, le désir effréné est tenté par transgresser les interdits en question. Une telle transgression suscite un sentiment de culpabilité et si on poursuit dans cette voie, le champ de la transgression s’étend et l’objet du désir se banalise, perd son sens conduisant au désenchantement du monde.
D’ailleurs, le désir n’est-il pas la source d’insatisfactions permanentes comme le souligne Schopenhauer, reprenant ainsi les conclusions des sagesses orientales incarnées par ces deux grands mouvements religieux que sont ce que l’on appelle l’hindouisme et le bouddhisme? Dans «Le monde comme volonté et représentation», Schopenhauer propose l’analyse suivante:«Tout désir naît d’un manque, d’un état qui ne nous satisfait pas; donc il est souffrance tant qu’il n’est pas satisfait. Or nulle satisfaction n’est de durée; elle n’est que le point de départ d’un désir nouveau...Déjà, en considérant la nature brute,nous avons reconnu pour son essence intime l’effort, un effort continu, sans but,sans repos; mais chez les bêtes et chez l’homme, la même vérité éclate bien plus évidemment. Vouloir, s’efforcer, voilà tout leur être; c’est comme une soif inextinguible. Or tout vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur; c’est par nature nécessairement, qu’ils doivent devenir la proie de la douleur. Mais que la volonté vienne à manquer d’objet , qu’une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l’ennui; leur nature, leur existence, leur pèse d’un poids intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui».
Schopenhauer en tire la conclusion que la partie la plus heureuse de notre existence est celle où nous la sentons le moins: «Nous sentons la douleur, mais non l’absence de douleur, le souci mais non l’absence de souci, la crainte mais non la sécurité… Nous remarquons douloureusement l’absence des jouissances et des joies, et nous regrettons aussitôt ; au contraire, la disparition de la douleur, quand bien même elle ne nous quitte qu’après longtemps, n’est pas immédiatement sentie, mais tout au plus y pense-t-on parce qu’on veut y penser, par le moyen de la réflexion. Seules, en effet, la douleur et la privation peuvent produire une impression positive et par là se dénoncer d’elles-mêmes. Le bien-être au contraire, n’est que pure négation.»
L’auteur constate alors «que nous n’apprécions les trois plus grands biens de la vie, la santé, la jeunesse et la liberté, tant que nous les possédons; pour en comprendre la valeur, il faut que nous les ayons perdus, car ils sont aussi négatifs. Que notre vie était heureuse, c’est ce dont nous nous apercevons qu’au moment où ces jours heureux ont fait place à des jours malheureux. Autant les jouissances augmentent, autant diminue l’aptitude à les goûter: le plaisir devenu habitude n’est plus éprouvé comme tel; mais par là même grandit la faculté de ressentir la souffrance; car la disparition d’un plaisir habituel cause une impression douloureuse. Ainsi la possession accroît la mesure de nos besoins, et du même coup la capacité de ressentir la douleur».
Schopenhauer poursuit cette description d’un pessimisme sans concession par les considérations suivantes sur l’écoulement du temps: « Le cours des heures est d’autant plus rapide qu’elles sont plus agréables, d’autant plus lent qu’elles sont plus pénibles: car le chagrin, et non le plaisir,est l’élément positif, dont la présence se fait remarquer. De même nous avons conscience du temps dans les moments d’ennui, non dans les instants agréables. Ces deux faits prouvent que la partie la plus heureuse de notre existence est celle où nous la sentons le moins; d’où il suit qu’il vaudrait mieux pour nous ne la pas posséder».
Tels sont les pièges du désir qui semblent incompatibles avec la perspective du bonheur. Mais doit-on s’en tenir là? N’y a-t-il pas des moyens pour maîtriser le désir de manière positive et se rapprocher d’une félicité qui semble devoir nous échapper si on prend en compte les analyses implacables du philosophe allemand? C’est ce que nous aborderons lors d’un prochain billet.
A.Mendiri