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11.12.2025
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Rubrique "Philosophie par les textes". Suite du billet N°5051.
Extrait de Philosophie pour tous, Tome IV, A.MENDIRI, Amazon.
Prochain billet demain mardi 02 septembre.
Le travail est une activité spécifiquement humaine qui fait de l’homme non seulement un être culturel, fondateur d’une culture grâce précisément à ce type d’activité mais également un être historique et pas seulement un être naturel si nous entendons par là un être qui est l’auteur des changements qu’il connaît à travers le temps. D’ailleurs ces changements ne concernent pas seulement le monde environnant mais lui-même. Par l’action du travail, de son processus créateur, l’homme individuel développe ses facultés, crée de nouveaux besoins, s’ouvre de nouveaux horizons et l’homme en tant qu’être social exploite, par la division sociale des tâches et la mise en commun des compétences spécialisées, les potentialités toujours croissantes de son espèce.
Comme on le voit, le travail est l’activité spécifiquement humaine qui est au cœur même de sa condition et qui participe directement au façonnement de cette condition. Car il est opportun de parler ici de condition et non de nature, si on entend par condition les caractéristiques de son existence imaginées et crées par son action et par nature un ensemble de caractéristiques immuables, communes à tous les membres d’une même espèce et s’imposant de manière nécessaire.
Certes, l’homme n’est évidemment pas dépourvu de telles caractéristiques naturelles. Si le travail témoigne d’une activité créatrice, c’est dans la mesure où l’homme dispose de la pensée, cette faculté permettant de distinguer le monde perçu d’un monde simplement possible. Le développement de la pensée est certes tributaire du développement du langage, qui lui-même dépend de l’éducation et d’un milieu social mais l’éducation en question ne peut produire ses effets que dans la mesure où l’homme dispose de cet organe naturel qu’est son cerveau avec son réseau extraordinairement complexe de connexions neuroniques.
Puisque le travail est au cœur de la condition humaine et qu’il façonne ce qu’il est présentement et ce qu’il est appelé à devenir, il va de soi que les conditions de son exercice deviennent capitales et constituent un enjeu politique, moral voire métaphysique.
L’activité travail présente de multiples facettes. Notons tout d’abord qu’hormis les rentiers, c’est-à-dire des personnes pouvant accéder aux biens nécessaires à la vie de tous les jours grâce aux fruits de leurs héritages, ou de leurs gains au jeu ou encore de leur activité financière de placement dans divers secteurs de l’économie, tout homme doit travailler pour vivre. Le travail est donc d’abord une contrainte sociale et vitale. C’est une activité liée à un gain nécessaire. Ce n’est nullement ou de manière très exceptionnelle une activité choisie, comme cela pouvait être le cas chez les citoyens Grecs de l’Antiquité pour lesquels cette libre activité se confondait avec le Loisir, non comme nous l’entendons aujourd’hui, à savoir une activité choisie s’exerçant lors d’un temps libre ou de repos, mais l’activité par excellence du citoyen s’adonnant à ses violons d’Ingres, laissant aux esclaves le soin d’assurer le quotidien. C’est de cette activité dont rêve Nietzsche, la seule qui à ses yeux est vraiment humaine et qui l’amène à être extrêmement sévère pour tous ceux qui « glorifient le travail » contraint, « le dur labeur exercé du matin au soir ».
Ce que Nietzsche condamne, ce n’est évidemment pas le travail contraint par lui-même, cette triste nécessité. Il possède une valeur fonctionnelle. Il renvoie à la dureté de la condition humaine. Il est incontournable. Mais il condamne ceux qui en font une valeur morale ou métaphysique, qui se félicitent de son existence, qui exigent qu’il soit magnifié, encensé, valorisé, qu’il devienne la raison d’être et le sens de l’existence, comme le souhaitait, soit-dit en passant l’Etat français avec sa fameuse devise « Travail, Famille, Patrie ».
D’ailleurs, Marx, à certains égards, rejoint tout à fait Nietzsche sur ce point. Il est vrai que Marx considère que l’homme se définit par le travail. Car le travail témoigne de ses facultés créatrices et permet à l’homme qui travaille de se construire, de se réaliser, de s’épanouir. Mais Marx ajoute qu’il s’agit là du travail rêvé, du travail tel qu’il devrait être et non tel qu’il est. A vrai dire, le travail vraiment humain n’apparaîtra qu’à l’horizon de l’histoire où sous le double effet des luttes révolutionnaires d’une part, des progrès techniques d’autre part, émergera une société d’abondance, c’est-à-dire une société où les biens nécessaires à la vie seront produits en quantité phénoménale et en peu de temps et en conséquence se verront distribués selon les besoins et non selon le travail accompli ou le mérite.
Dans ce cadre, le travail deviendra Loisir tel qu’il était pratiqué chez les citoyens grecs. Il s’agira d’une activité libre où se déploieront les intérêts et les compétences de chacun. De surcroît, ce type d’activité, en raison du développement technique, sera essentiellement d’ordre intellectuel, mettant entre parenthèses l’effort physique. Enfin, ce travail ne sera plus lié à l’obtention d’un gain puisqu’il ne sera plus la médiation incontournable en vue d’acquérir les biens et les services nécessaires à la vie. Si l’on considère que l’esprit est vraiment ce qui fait la spécificité de l’homme, alors commencera le véritable travail humain, créateur, libre et œuvre de l’esprit.
Certes, il s’agit là d’une utopie, qui étymologiquement signifie « qui n’existe nulle part ». Les faiblesses du raisonnement de Marx sont de deux sortes. La première c’est que l’avenir est une page blanche, surtout l’avenir lointain, imprévisible et impensable. L’utopie ne concerne alors que l’idéal du temps présent ou le prolongement par une expérience de pensée des conditions de ce temps présent. En second lieu, les biens nécessaires à la vie varient à vrai dire avec l’évolution des besoins. Le réfrigérateur ou le téléphone portable ne sont pas des biens vitaux. Mais peu d’entre nous aujourd’hui considèreraient que ce ne sont pas des biens indispensables à la vie de la société contemporaine. La société « d’abondance » ne peut pas prendre en compte que les seuls besoins vitaux au sens strict. Car, de ce point de vue, les sociétés riches connaissent déjà les conditions requises à une telle utopie. Or, la vocation de l’homme ne consiste pas à se contenter du minimum vital, condition proche à vrai dire de l’animalité. La condition humaine appelle à des dépassements et des transformations continues, à un éloignement de plus en plus marqué par rapport à la condition proche de la nature.
Les exigences humaines vis-à-vis du travail et de ses contraintes se doivent d’être plus modestes tout en servant des considérations anthropologiques et morales d’une grande portée. Il faut faire en sorte que tout travail humain mérite ce nom, c’est-à-dire soit à la hauteur de ce que l’on considère comme étant la dignité humaine. A ce titre, ce travail doit pouvoir toujours mettre en œuvre de véritables compétences créatrices et une autonomie dans sa réalisation. Sinon, le travailleur est réduit au statut de simple machine vivante.
En second lieu, si toute forme de travail collectif exige une organisation et donc une chaîne de commandement, faut-il encore que celle-ci s’en tienne aux nécessités fonctionnelles et que celui qui travaille n’ait pas le sentiment qu’il dépend entièrement et de manière discrétionnaire de ceux chargés du bon fonctionnement de la collectivité en question. Autrement dit, il est nécessaire que le travailleur soit soumis à des règles ayant un sens et une nécessité et non à des hommes, à leurs caprices et leurs intérêts. Ce genre de soumission est en effet le pire ennemi de la liberté, cette liberté qui est inhérente selon Rousseau à la condition humaine.
Enfin, faut-il également que cette activité reçoive sa juste récompense en termes de gain, c’est-à-dire en capacités de jouir pleinement des possibilités offertes par son époque et la société au sein de laquelle on évolue. En d’autres termes, il est indispensable que les inégalités qui subsistent soient seulement des inégalités légitimes ou justes et dont l’absence témoignerait au contraire d’un égalitarisme foncièrement injuste.
Comme nous le voyons, il s’agit là d’une autre forme d’idéal mais d’un idéal qui ne va pas jusqu’à acquérir le statut d’utopie. C’est un idéal difficile mais non impossible à atteindre. Toujours est-il que c’est la seule voie à emprunter si l’on ne veut pas que l’homme, pour reprendre les belles expressions de Marx, fuie le travail comme la peste et se sente lui-même en-dehors du travail et étranger à lui-même au cours de son travail. Car alors « ce qui est humain » (c’est-à-dire le travail) devient animal et « ce qui est animal » (le seul souci de satisfaire les besoins vitaux) devient humain.