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365 LANGUE ET CULTURE

Publié le 07/09/2012 à 07:59 par cafenetphilosophie Tags : pensée bleu gratuit soi nature mode mer dieu roman femme enfants monde vie éléments animal

Publication en ligne du "Cours de philosophie" d'Albert Mendiri aux éditions Scripta, chap.VII "La libération face à l'environnement: la pensée symbolique et la technique" pp.133-137.

Suite du billet N°361.

 

  

   Rappelons en premier lieu un certain nombre de distinctions utiles pour notre propos. Il ne faut pas confondre langage, langue, parole. Le langage renvoie à la capacité générale de combiner des signes en vue d’exprimer des idées ou la pensée. C’est une propriété qui définit à certains égards l’homme, qui le distingue des autres espèces animales et qui à ce titre est universelle et naturelle. Certes, une éducation reste indispensable en vue de développer cette faculté mais cette dernière ne fait qu’exploiter une possibilité native de l’homme, elle ne la crée pas de toutes pièces.

 D’ailleurs, il faut bien reconnaître que l’apprentissage du langage conserve à ce jour sa part de mystère car il s’agit sans doute de l’une des acquisitions les plus difficiles à transmettre alors même que tous les enfants entre 0 et 5 ans accèdent à ce que les linguistes désignent par la « compétence linguistique », c’est-à-dire précisément la capacité de combiner différents signes en vue d’engendrer un nombre potentiellement illimité de messages inédits. Or, théoriquement, ces mêmes enfants ne possèdent pas la maturité intellectuelle rendant compte de cet apprentissage qui, hormis pathologies, ne souffre aucune exception. Aussi, la thèse de Chomsky selon laquelle l’homme serait programmé en vue de traiter inconsciemment les informations linguistiques mérite-t-elle qu’on y prête attention. En somme, cela signifie que le cerveau de l’homme présenterait cette capacité naturelle à saisir le caractère combinatoire du langage.

 Contrairement au langage, une langue n’a rien d’universel et encore moins de naturel même potentiellement. Une langue présente un caractère particulier car il est le fruit d’une culture bien située dans l’espace et le temps. Il s’agit de la manière propre à un peuple de traduire par des signes qui lui sont spécifiques cette capacité générale de combiner des signes qui constitue le langage. De ce fait, la capacité d’acquérir une langue, c’est-à-dire un donné culturel et non une disposition naturelle comme le langage, s’avère très inégale selon le milieu culturel. En conséquence, la « performance » linguistique, c’est-à-dire la connaissance d’une langue, de ses règles ou de sa syntaxe, de l’étendue et de la richesse du vocabulaire, contrairement à la « compétence » linguistique, varie selon les individus, le milieu social, les conditions d’apprentissage.

 Enfin, la parole renvoie en linguistique, non à la voix et aux sons exclusivement, mais à l’utilisation individuelle d’une langue. De ce point de vue, un sourd-muet communiquant avec la langue des signes gestuels accomplit un acte de parole.

    L’opinion commune a tendance à penser que ce qui différencie la langue maternelle que l’on pratique d’une langue étrangère c’est le choix arbitraire des signes utilisés, mais qu’en définitive leur fonctionnement respectif est quasiment le même et qu’il suffit d’une simple transposition de l’une à l’autre des signes en question pour pouvoir se faire comprendre dans cette langue étrangère. Le linguiste A. Martinet analyse cette croyance dans « Eléments de linguistique générale »: 

 

"Selon une conception fort naïve, mais assez répandue, une langue serait un répertoire de mots, c’est-à-dire de productions vocales (ou graphiques), chacune correspondant à une chose : à un certain animal, le répertoire connu sous le nom de langue française ferait correspondre une production vocale déterminée que l’orthographe représente sous la forme cheval ; les différences entre les langues se ramèneraient à des différences de désignation…apprendre une seconde langue consisterait simplement à retenir une nouvelle nomenclature en tous points parallèle à l’ancienne.

   Cette notion de langue répertoire se fonde sur l’idée simpliste que le monde tout entier s’ordonne, antérieurement à la vision qu’en ont les hommes, en catégories d’objets parfaitement distinctes, chacune recevant nécessairement une désignation dans chaque langue ; ceci, qui est vrai, jusqu’à un certain point, lorsqu’il s’agit par exemple d’espèces d’êtres vivants, ne l’est plus dans d’autres domaines : nous pouvons considérer comme naturelle la différence entre l’eau qui coule et celle qui ne coule pas ; mais à l’intérieur de ces deux catégories, qui n’aperçoit ce qu’il y a d’arbitraire dans la subdivision en océans, mers, lacs, étangs, en fleuves, rivières, ruisseaux, torrents ?La communauté de civilisation fait sans doute que, pour les Occidentaux, la Mer Morte est une mer et le Grand Lac Salé un lac, mais n’empêche pas que les Français soient seuls à distinguer entre le fleuve, qui se jette dans la mer et la rivière, qui se jette dans un autre cours d’eau. Dans le spectre solaire, un Français, d’accord en cela avec la plupart des Occidentaux, distinguera entre du violet, du bleu, du vert, du jaune, de l’orangé et du rouge. Mais ces distinctions ne se trouvent pas dans le spectre lui-même où il n’y a qu’un continu du violet au rouge. Ce continu est diversement articulé selon les langues. Sans sortir d’Europe, on note qu’en breton et en gallois un seul mot…s’applique à une portion du spectre qui recouvre à peu près les zones françaises du bleu et du vert. Il est fréquent de voir ce que nous nommons vert partagé entre deux unités qui recouvrent l’une une partie de ce que nous désignons comme bleu, l’autre l’essentiel de notre jaune. Certaines langues se contentent de deux couleurs de base correspondant grossièrement aux deux moitiés du spectre. Tout ceci vaut, au même titre, pour des aspects plus abstraits de l’expérience humaine (…) En fait, à chaque langue correspond une organisation particulière des données de l’expérience. Apprendre une autre langue, ce n’est pas mettre de nouvelles étiquettes sur des objets connus, mais s’habituer à analyser autrement ce qui fait l’objet de communications linguistiques ».

  

Ces observations, tout élève d’un collège ou d’un lycée, est amené à en prendre conscience dès que commence son étude d’une langue étrangère. Les difficultés de traduction, les structures syntaxiques différentes, les expressions idiomatiques, c’est-à-dire les modes d’expression propres à une langue, autant de difficultés à surmonter et qui très vite nous convainquent de la spécificité de chaque langue. Nous avons pu noter qu’à la fin de l’extrait de A. Martinet, ce dernier ajoute que ses analyses valent « pour des aspects plus abstraits de l’expérience humaine ». Nous voudrions en donner un exemple très significatif.

C’est ainsi que la plupart des Occidentaux, influencés en cela par la culture grecque et particulièrement par Platon, conceptions qui ont servi de base à l’interprétation du christianisme par St Augustin, distinguent et opposent radicalement le corps et l’âme. Bien entendu, nous disposons de deux mots pour exprimer cette distinction fondamentale dans notre culture. Or, le peuple hébreu, le peuple de la Bible méconnaît selon Claude Tresmontant dans « Essai sur la pensée Hébraïque » une telle distinction. Il utilise volontiers des termes « corporels » pour désigner l’âme et des termes « spirituels pour désigner le corps. C’est ainsi que nous pouvons lire des expressions de ce type : «  Mon âme a faim »  (Ps 107) ; « Je dirai à mon âme : mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour beaucoup d’années ; repose-toi, mange, bois, festoie » (Luc, 12) ou au contraire « Mes reins exultent » (Prov., 23) ; « Ses entrailles furent émues » (Gen., 43).

 En fait, il oppose non le corps et l’âme, mais la chair et l’esprit. Il ne s’agit pas ici d’un simple jeu dérisoire de synonymes. La chair renvoie à l’homme total, corps et âme indissociables, mais qui vit replié sur sa seule humanité, coupé de Dieu et du sens de la transcendance alors que l’Esprit désigne là encore l’homme total, corps et âme, mais qui établit une relation intérieure avec son Dieu, relation qui inspire sa manière de vivre et sa relation à autrui, c’est-à-dire sur le mode de la « charité », de l’amour gratuit ou « agapè ». Cela conduit à des erreurs de traduction et par là même des erreurs d’interprétation. C’est ainsi que lorsque St Paul condamne la « chair », il ne s’agit pas du corps et des plaisirs sensibles comme nombre d’interprètes ont pu le faire, mais de l’homme coupé de Dieu. C’est ainsi encore que la charité ne se réduit pas avec une forme de générosité ou de partage vis-à-vis des pauvres comme on le croit communément, mais d’une disposition intérieure de l’ordre de l’amour gratuit, pris dans le sens de « vouloir du bien » : « J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés…, s’il me manque la charité, cela ne me sert à rien » (Hymne à la Charité).

Comme on peut le constater, une langue traduit une conception du monde, une philosophie de la vie. Apprendre une langue consiste donc non à étudier mécaniquement un répertoire nouveau mais cela consiste à se familiariser avec une manière autre de percevoir et de concevoir le monde. Une langue n’est décidément pas un instrument neutre de communication. G. Mounin dans « Clefs pour la linguistique » prétend même qu’ « Une langue est un prisme à travers lequel ses usagers sont condamnés à voir le monde ». Il ajoute « et…notre vision du monde est donc déterminée, prédéterminée même, par la langue que nous parlons ; ces formules choquantes expriment cependant la pure vérité : le citadin qui ne connaît et ne nomme que des arbres ne voit pas le monde à travers les mêmes gelstalten (approximativement les formes de perception) que le paysan qui reconnaît et distingue le chêne, le charme, le hêtre, l’aulne, le bouleau, le châtaignier, le frêne ». Remarquons cependant que les analyses de Mounin confirment plutôt le fait que nous percevons ce que nous savons. Car dans le cas exposé, il va de soi qu’il ne suffit pas de connaître le mot pour percevoir la réalité correspondante. Faut-il encore qu’à ce mot corresponde une représentation précise de la réalité à laquelle ce mot renvoie.

Nous comprenons alors aisément que l’hypothèse ou le souhait d’une langue universelle sont largement utopiques ou artificiels. Une langue universelle n’aurait de sens que s’il existait une culture universelle. A ce titre les tentatives en vue de créer artificiellement une langue universelle comme l’a entrepris Zamenhof à la fin du XIX° siècle sont sans doute vaines. Cette langue, l’Espéranto, ne possède aucune racine, aucune mémoire, et qui plus est, elle n’est pas véritablement universelle : sa graphie est celle des langues latines et ignore les graphies cyrillique, arabe, extrême-orientales etc. Son répertoire est composé à partir des racines des langues européennes.

Certes, il existe des éléments favorisant une langue dominante. Ce fut le cas du latin en Europe, au Moyen-Âge, lorsque les Universités européennes ont adopté la langue officielle de l’Eglise et ce dans la mesure où cette dernière avait assuré un semblant d’unité et une organisation minimale des sociétés européennes après la chute de l’Empire Romain. C’est aujourd’hui le cas de l’anglais, la domination de cette langue traduisant la prééminence culturelle, économique, militaire, politique des Etats-Unis depuis la fin de la première guerre mondiale et ce, dans la continuité de l’immense empire colonial britannique.

Il est vrai que notre époque comporte des aspects importants de la culture qui revêtent désormais un caractère universel. C’est le cas du savoir mathématique et des sciences de la nature ; c’est le cas des principales techniques ; c’est le cas, de plus en plus, des modes de vie et de consommation ; c’est enfin, officiellement, le cas concernant la définition des droits de l’homme puisque pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, a été rédigée en 1948 une « Déclaration universelle des droits de l’homme ». Il n’en reste pas moins que les croyances religieuses, les traditions multiples des peuples en ce qui concerne l’habitat, l’alimentation, l’habillement, la conception des rôles respectifs de l’homme et de la femme, les idées à propos de l’organisation politique etc. et surtout la mémoire des peuples de la Terre restent marquées par la diversité. Toutes choses qui rendent artificielle l’idée d’une langue universelle qui exprimerait une unité réelle de la culture humaine et non un rapport de force de nature politique. Chaque langue humaine exprime cette diversité de perception et de conception du monde.