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Dernière mise à jour :
10.09.2025
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Rubrique "Les langages impossibles". Suite du billet N°4391.
Extrait de Philosophie pour tous, Tome VI, A.MENDIRI, Amazon.
Prochain billet demain jeudi 13 avril.
Le langage est le propre de l’homme. Cette affirmation heurte de nombreux courants de pensée contemporains portés à relativiser à l’extrême l’originalité et la supériorité de l’homme sur la nature. Cette prétention de supériorité serait le fruit idéologique d’une pensée biblique ou judéo-chrétienne qui fait de l’homme le sommet de la création et un être créé « à l’image de Dieu ». Dès lors, ces courants de pensée tentent de trouver une continuité entre l’homme et l’animal, et lorsqu’ils admettent quelques différences, celles-ci sont simplement d’ordre quantitatif et non qualitatif, et ténues de surcroît. Le langage, l’outil, la conscience, la culture existeraient peu ou prou dans le monde animal. Une forme de pensée écologique exacerbée et une sensibilité légitime face à la souffrance animale viennent alimenter ce qu’on appelle l’antispécisme et viennent conforter certaines pratiques alimentaires comme le véganisme, qui se refuse à consommer ou à utiliser tout dérivé du monde animal.
Nous ne nous attarderons pas à réfuter de telles thèses qui constituent à nos yeux un déni du réel fondé davantage sur des réactions affectives que sur une véritable pensée critique. Certes, il est possible d’envisager que la conscience, qui est considérée comme la marque de l’humanité, ne constitue pas une émergence radicale avec des propriétés spécifiques comme c’est le cas de la vie par rapport à la matière inerte, mais que l’homme ne se distingue du règne animal que par l’extraordinaire complexité de son cerveau, créant ainsi un véritable fossé par rapport à ses immédiats devanciers, le chimpanzé par exemple.
La complexité sans commune mesure du cerveau de l’homme par rapport aux autres espèces animales permet de comprendre la manifestation de la conscience chez celui-ci, que la conscience soit produite par le cerveau ou bien seulement captée par lui, puisqu’il semble que le débat reste ouvert en la matière. Or la conscience et son exigence de recul par rapport à ses contenus engendre la pensée, c’est-à-dire la faculté permettant de distinguer le monde perçu et un monde simplement possible et par là même de créer la culture. Mais la pensée ne peut s’actualiser qu’avec des outils adaptés, précis et diversifiés, autrement dit par la médiation du langage. Le langage ne crée pas la pensée mais lui permet de s’actualiser, de se développer, de s’exprimer.
Le langage est donc le témoin de la pensée et cela se traduit d’ailleurs par sa capacité à engendrer potentiellement une infinité de messages différents en fonction des besoins de communication. Il n’en reste pas moins vrai que le langage pratique, celui utilisé chaque jour dans le cadre de nos occupations ordinaires, comporte des limites et ne permet guère d’exprimer notre singularité.
En effet, sur le plan de l’action, de la coopération pratique entre les hommes, pour peu que nous disposions du vocabulaire adapté à cette action, la communication langagière ne pose guère de problème. Cette communication devient plus problématique dès lors qu’elle se donne pour objet des considérations idéologiques, religieuses, politiques, morales etc… Cela vient du fait que les interlocuteurs ne donnent pas toujours le même sens aux mêmes mots et cela, dans la mesure où ces mots sont porteurs au-delà de leur sens usuel d’un halo de connotations lié à des contextes historiques, à des passions irrationnelles, à des ignorances, à des préjugés, à des préventions qui constituent un tissu affectif faisant obstacle à la compréhension réciproque des propos tenus par les interlocuteurs.
Les connotations entourant les mots utilisés conduisent à singulariser le sens de ces mots en fonction de la mémoire et des engagements de toutes sortes des interlocuteurs. Le sens des mots est socialisé par nature puisque les mots sont destinés à être échangés. Tout échange ne peut se faire que sur la base d’une entente sur des points communs. De ce fait, les mots nient en quelque sorte notre individualité. Ils ne peuvent exprimer que notre individualité socialisée et non notre individualité qui se vit et se connaît comme singulière au sein de notre mémoire individuelle et connue uniquement par nous dans ce qu’elle a précisément de singulier.
Cependant, les connotations d’ordre idéologique et qui brisent ce caractère très socialisé des mots utilisés ont sans doute le mérite de mieux révéler notre individualité, ordinairement effacée au sein des mots socialisés, mais ils font obstacle à la pensée rigoureuse et à la compréhension réciproque, ne serait-ce que sur un accord clair sur des points de désaccord. Les dialogues de Platon ont précisément pour ambition de dénoncer la source de ces incompréhensions et de proposer la méthode rigoureuse pour les surmonter. Cet effort de clarification qui exige de maîtriser ses passions présente l’immense mérite de nous faire sortir de notre forteresse individuelle et de nous confronter à une réalité commune, masquée, voilée dans le cadre des échanges non maîtrisés.
Le langage ordinaire se heurte cependant à un obstacle beaucoup plus difficile à surmonter, à savoir la communication de nos affects. Car dans le cas précédent, l’obstacle à la communication provenait davantage de nous, des passions, des aveuglements qui nous traversaient que du langage lui-même. En revanche, concernant l’expression de notre singularité intime, de ce que nous ressentons et qui est relié à une mémoire difficilement partageable dans sa richesse, la difficulté de communication tient à la nature même du langage.
Car celui-ci, par nature, ne peut participer à un authentique échange que s’il est socialisé. Or le langage socialisé ne traduit que de manière très superficielle notre individualité et ses vécus singuliers puisqu’il ne peut en exprimer que les éventuels points communs avec autrui. De ce point de vue, le langage usuel ne manifeste que le caractère le plus superficiel de l’individuel. L’essentiel de notre réalité est « voilé » par les mots utilisés. Nietzsche a particulièrement insisté sur ces limites dramatiques du langage.
Est-ce à dire que l’expression de notre individualité relève de l’indicible et qu’elle demeure complètement masquée par nécessité ? Nous retrouvons là la même problématique que celle qui caractérisait le rapport du langage scientifique à la réalité ou bien le rapport du langage religieux à son objet propre, à savoir Dieu ou l’absolu. Là encore, nous devrions nous situer entre l’ignorance et le savoir.
En effet, Hegel s’inscrit en faux contre cette idée selon laquelle certains domaines relevant de l’individualité resteraient inexprimables. L’indicible n’est que de l’inexprimé, non par nécessité mais à cause de nos insuffisances au niveau du maniement de l’outil que constitue le langage. Le travail sur les mots, l’étendue du registre utilisé, le souci de la pensée rigoureuse et précise peuvent contourner l’obstacle du non-dit. Certes, c’est là l’ambition de la bonne littérature. Une telle démarche demande du talent, du travail et du temps. De plus, le mode de communication doit passer par l’écrit qui seul autorise ces trois qualités à s’exprimer pleinement, et non par la parole échangée.
Cependant, Hegel, dans son souci de transparence rationnelle absolue, ne nie-t-il pas lui aussi les limites inévitables du langage en vue d’exprimer la réalité de l’individualité ? Est- que, sous ce type d’analyse, ne se cacherait pas le présupposé non-dit selon lequel l’individuel n’est jamais que du non-être ? Pour notre part, c’est ce que nous suspectons concernant le point de vue défendu par l’illustre philosophe.
Pourtant, la réalité de l’individualité est incontestable. Elle nous constitue de part en part. Elle est vécue comme incommunicable dans sa totalité et même sans doute pour l’essentiel. Elle ne saurait se réduire à ce que peut en communiquer le langage usuel. Elle relève de ce que la philosophie de l’esprit contemporaine désigne sous le terme de « qualias », autrement dit du domaine du qualitatif. Or, le qualitatif renvoie par nature à l’irrationnel, non l’irrationnel entendu comme ce qui est contraire à la raison à l’image d’un acte superstitieux par exemple, mais l’irrationnel comme réalité étrangère à la raison. C’est ainsi qu’il s’avère impossible de permettre à un aveugle de naissance de se représenter une couleur quelconque dès lors qu’il n’en a jamais perçue, qu’il n’en a jamais fait l’expérience vécue.
Il en va de même concernant notre individualité dans son épaisseur, son foisonnement, sa richesse intérieure. Cependant, il est excessif de verser dans l’excès inverse et de proclamer que l’individualité est indicible. Le langage usuel dévoile, très partiellement, très maladroitement le plus souvent, des indices de cette réalité. De plus, le langage ne se réduit pas au langage verbal. Il faut également prendre en compte ce que les linguistes appellent les paralangages constitués d’expressions corporelles, de regards, de tons utilisés, de silences etc…Enfin et surtout, les actions menées, leur répétition, leur constance sont sans doute un des moyens les plus sûrs de connaître autrui.
Certes, cette connaissance est loin d’être complète ni même peut-être fidèle. Il n’en reste pas moins que l’expérience commune témoigne qu’elle est loin d’être si négligeable que cela. Si nous nous permettons de reprendre la métaphore de B. Russell concernant l’hypothétique martien découvrant un disque où se voit enregistré un concert en vue d’éclairer les possibilités du langage quant à la communication intersubjective, il va de soi que si un sujet conscient ne peut accéder à la réalité et à la richesse intérieure d’un autre sujet conscient à partir de leurs échanges de toute nature, verbaux ou non verbaux, il connaîtra néanmoins de son interlocuteur beaucoup plus que ce que le martien est en mesure de se dévoiler sur l’humanité en dégageant la structure formelle du disque en question. Même s’il est condamné à ne connaître que la surface de l’intériorité d’autrui et non sa profondeur, il sera amené, en déchiffrant les multiples indices familiers offerts par la surface de cette intériorité à effectuer des conjectures sur cette intériorité de l’ordre de la vraisemblance à défaut d’être de l’ordre de la vérité.
Il est inévitable qu’une large part de la réalité d’autrui nous échappe, mais il n’en reste pas moins vrai que nous sommes à même d’en saisir des aspects apparents essentiels et qui garantissent la fiabilité et la qualité des relations que nous pouvons établir avec lui. L’efficacité pratique de nos interprétations sur autrui nous offre l’assurance que celles-ci ne sont pas de simples produits de l’imagination mais qu’elles disent quelque chose d’authentique sur lui, au même titre que l’efficacité de nos théories scientifiques nous garantissent que ces théories disent quelque chose de vrai sur le réel étudié même si nos représentations n’établissent avec ce réel qu’un lien éloigné et ténu. L’inévitable superficialité de tout langage ne nous rend pas le réel visé inaccessible mais permet un mode de représentation certes lointain mais non étranger à ce réel et une emprise sur celui-ci incontestable.