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15.09.2025
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Rubrique "Philosophie au fil des textes"
Prochain billet demain 02 mai (Lecture philosophique de la Bible)
Le texte que nous nous proposons de commenter ce jour est tiré de « La politique » d’Aristote. Voici le texte :
« L’homme qui vit selon ses passions ne peut guère écouter ni comprendre les raisonnements qui cherchent à l’en détourner. Comment serait-il possible de changer les dispositions d’un homme de cette sorte ? Somme toute, le sentiment ne cède pas, semble-t-il à la raison, mais à la contrainte. Il faut donc disposer d’abord d’un caractère propre en quelque sorte à la vertu, aimant ce qui est beau, haïssant ce qui est honteux ; aussi est-il difficile de recevoir, dès la jeunesse, une saine éducation incitant à la vertu, si l’on n’a pas été nourri sous de telles lois, car la foule, et principalement les jeunes gens, ne trouvent aucun agrément à vivre avec tempérance et fermeté. Aussi les lois doivent-elles fixer les règles de l’éducation et les occupations, qui seront plus facilement supportées en devenant habituelles. A coup sûr, il ne suffit pas que, pendant leur jeunesse, on dispense aux citoyens une éducation et des soins convenables ; il faut aussi que, parvenus à l’âge d’homme, ils pratiquent ce qu’on leur a enseigné et en tirent de bonnes habitudes. Tant à ce point de vue que pour la vie entière en général, nous avons besoin de lois. La foule en effet obéit à la nécessité plus qu’à la raison et aux châtiments plus qu’à l’honneur. »
Cet extrait d’Aristote rappelle quelques observations sur le comportement humain que chacun peut vérifier aisément. Il est tout à fait vrai que l’homme obéit aux passions qui l’animent plus qu’à la raison et que « le sentiment » ne cède qu’à la contrainte plutôt qu’à la réflexion raisonnable. Pour bien saisir cela, il faut rappeler les caractéristiques de l’humaine condition, celles qui le distinguent de toutes les autres espèces animales. L’homme ne possède aucun instinct, autrement dit ne dispose pas de comportements naturels innés qui règleraient de manière innée, rigide, uniforme ses relations avec ses congénères d’une part et l’ensemble de la nature d’autre part, en particulier ses proies. Cette absence d’instinct se comprend fort bien au regard même des exigences de la sélection naturelle telle que Darwin les a mises en lumière au XIX° siècle. Car l’homme disposant de la capacité exceptionnelle de pouvoir tout apprendre grâce à la complexité étonnante et sans égale sur notre planète de son cerveau, des instincts introduiraient des rigidités dans ses relations avec son milieu alors même que ses capacités cérébrales lui permettent de s’adapter aux situations les plus diverses avec souplesse et inventivité.
Cependant, cette absence de régulations naturelles connaît son revers. L’homme est porté naturellement à commettre des excès faute de posséder de telles canalisations naturelles. Il peut franchir des frontières qui empêchent l’animal de mettre en danger sa propre espèce ainsi d’ailleurs que l’individu concerné. Le monde animal ignore la guerre intra-spécifique, le génocide, la torture. Les combats entre mâles afin d’établir la hiérarchie au sein d’un groupe et le privilège d’assurer la descendance de son espèce cesse, sauf accident, avant la mort de l’un des combattants. L’espèce humaine détient le triste privilège des horreurs dont est coutumière le cours de son histoire. Dire dans ces cas que l’homme se comporte comme une bête est un contresens absolu et une insulte faite au restant de la nature.
Certes, cette capacité à n’être point limité dans son action peut conduire l’homme à des actes d’une incomparable noblesse et qui relèvent d’un héroïsme, d’un désintéressement, d’une grandeur d’âme, d’un sens du sacrifice délibéré, inconnus chez l’animal. De plus, faute de disposer de régulations naturelles, l’homme possède une faculté unique, lui permettant de réfléchir afin de déterminer la nature de son bien véritable ainsi que celui de son espèce ou de la collectivité au sein de laquelle il évolue, à savoir la raison, tout au moins lorsque celle-ci juge de la légitimité des fins poursuivies et des moyens en vue d’y parvenir. Car, nous le savons, la raison peut se mettre au service de la passion et du désir irrationnels afin de mieux réaliser leurs injonctions. Etre raisonnable ne se réduit pas à être rationnel, cohérent, efficace dans l’action mais réfléchi, tempérant, juste.
C’est à ce titre que Platon considérait que les passions et les désirs devaient être soumis à l’intelligence et qu’en conséquence « la raison devait, chez l’homme, tenir le gouvernail ». Etait-ce là un vœu pieux ? Doit-on admettre que la force aveugle de vie qui nous habite et que dénonçait Schopenhauer au XIX° siècle, est appelée à tout submerger fatalement et que le souhait de Platon n’est qu’un idéal à vrai dire inaccessible ou à la portée seulement de quelques personnes hors du commun?
Répondre positivement à cette question résulte d’une méconnaissance de la réalité humaine dans sa complexité. Ou plus précisément cela revient à réduire l’homme à ses pulsions d’origine biologique, au triste constat que ses carences en matière d’instinct, le condamne à de tels errements. Car l'homme est précisément, naturellement, un être qui peut et qui doit s’arracher à sa condition animale très spécifique que nous venons de décrire. L’homme doit exploiter la totalité des capacités qui font de lui un homme et non un singe par exemple. Il doit développer sa pensée potentielle, c’est-à-dire sa capacité à imaginer un monde possible par comparaison au monde perçu, et ce, grâce au langage. Or, ne disposant pas d’une langue naturelle, il doit acquérir une langue dite maternelle, celle d’un groupe d’hommes au sein duquel il est né. L’homme est naturellement un être culturel, un être social, car il n’y a qu’au sein d’une culture ou d’une société qu’il se voit à même d’exploiter et de bénéficier des potentialités collectives de son espèce ainsi d’ailleurs que des siennes propres.
Puisque l’homme n’épanouit ses potentialités humaines qu’au sein d’une société, qu’il ne devient véritablement homme qu’au contact des hommes et qu’il ne dispose d’aucun comportement social inné, il doit recevoir une éducation qui lui transmet ce qu’il doit faire ou ne pas faire afin de s’intégrer à cet environnement social incontournable. Ces normes d’action structurent sa conduite, introduisent les canalisations que la nature biologique ne lui offre plus. Dès lors, le comportement humain se voit tributaire de l’éducation reçue, des habitudes acquises, l’habitude devenant une « seconde nature ».
Cependant, l’éducation doit pouvoir s’inscrire dans un cadre beaucoup plus large. Car celle-ci tend à régler des comportements privés, individuels. Faut-il encore que les normes de comportement ainsi acquises puissent trouver leur prolongement au sein du corps social, de son organisation, de son idéal, bref de ses valeurs. Cette harmonie entre les comportements acquis sur le plan individuel et ceux exigés sur le plan social et donc par la médiation de la loi interdira tout écart, tout excès, toute tentation de violer les interdits. L’organisation politique vient compléter et renforcer les exigences morales apprises dans le cadre éducatif.
Il n’en reste pas moins vrai que l’homme, de par la liberté dont il dispose naturellement, n’est jamais à l’abri de tous les dérèglements possibles. N’oublions pas le fameux mythe de Gygès de Platon. Gygès était ce berger qui avait trouvé par hasard une bague lui permettant de devenir invisible à volonté, selon qu’il tournait ou non le chaton de la bague vers l’intérieur du doigt. Or, dans une telle situation, il est facile d’imaginer ce que feraient la plupart des hommes, à l’abri du regard d’autrui et de la sanction sociale. D’ailleurs, cette situation décrite par Platon n’est pas aussi mythique que cela. La vie sociale ordinaire regorge de circonstances où les individus pensent, souvent avec raison, être à l’abri du regard d’autrui ou de la sanction sociale. C’est le cas de nombre d’infidélités conjugales, de tricheries fiscales, de comportements routiers irresponsables etc.
Ainsi, l’habitude ne suffit pas à protéger le corps social de telles dérives. Faut-il encore que les hommes concernés adhèrent sincèrement aux exigences qui régentent leur conduite, que le manquement à ces exigences soient vécues comme une rupture douloureuse avec leur identité, bref que ces exigences loin d’être de simples habitudes soient devenues ce qu’on appelle des valeurs. En somme, les exigences sociales, les habitudes acquises ne doivent pas masquer des désirs contraires, étouffés par les interdits collectifs et les sanctions attenantes. Les exigences sociales, les habitudes acquises ne doivent pas être jugées comme de simples règles efficaces afin de maintenir l’ordre social, indispensables certes mais étouffantes. Afin de bien saisir ce qu’est une valeur, réfléchissons à ce que nous ne ferions en aucun cas si, comme Gygès, nous devenions invisibles.
Or inculquer des valeurs s’avère beaucoup plus difficile qu’inculquer de simples habitudes. L’habitude renvoie à un comportement où la réflexion n’intervient plus guère et où la règle observée reste extérieure voire étrangère à l’identité personnelle du sujet concerné. La valeur, tout au contraire, s’avère constitutive de l’identité du sujet. Elle résiste à tous les effondrements, y compris de notre environnement social et de ses interdits. La valeur est un bien précieux mais rare qui n’apparaît pas ici dans le raisonnement proposé par Aristote.
A.Mendiri